Lettre de Pierre Delion aux amis des Assises citoyennes du soin psychique

Lettre à mes amis des Assises citoyennes du soin psychique

Malheureusement pour moi, je ne serai pas présent cette fois-ci aux assises citoyennes du soin en raison d’engagements pris antérieurement et que je ne pouvais pas annuler ou reporter. Mais je tiens à vous adresser ces quelques lignes.
Depuis tant d’années que nous déplorons la mort annoncée d’une psychiatrie humaine, elle est en train de se produire massivement et même dans certains cas elle s’est déjà manifestée par des signes qui ne trompent pas : désertion des soignants, absences de réponses humaines à des souffrances psychiques énormes, discours en faux-self de nos gouvernants sur l’amélioration des conditions de soins des patients et de travail des soignants, déni massif du phénomène par la plupart des médias malgré quelques journalistes courageux et conscients qui crient eux aussi dans le désert, détournement des dispositifs de soins efficaces (les secteurs, les cmpp…) au profit de vitrines démagogiques (les centres ressources hyperspécialisés), disjonction contraire à l’éthique médicale des praticiens du diagnostic et de ceux de la prise en charge, j’en passe et des meilleurs, comme la création d’un Institut du Cerveau de l’Enfant en réponse à l’effondrement de la pédopsychiatrie. 
Tout cela répond à une logique de vente du service public au privé à but lucratif et au remplacement d’une pensée du soin psychique par des protocoles (que j’appelle désormais des proctocoles!) automatiques et généralisants là où un soin sur mesure est plus que jamais indispensable. Une simplification abusive en résulte qui va contre les travaux sur la complexité qui caractérisent le soin psychique : en effet, beaucoup de paramètres entrent dans l’équation des maladies psychiques qui doivent être traités de façon articulée en tant qu’éléments de sous-ensembles distincts mais complémentaires. Or nous assistons à une prise de pouvoir de la génétique et des neurosciences, souvent réduites à une vague idéologie scientiste, sur tous les autres continents de savoirs qui ont une aussi grande importance dans l’équation générale : la psychologie, la psychopathologie, la psychanalyse, la sociologie, l’anthropologie, le politique. 
Devant un tel gâchis de savoirs accumulés depuis des lustres par des praticiens de tous statuts et de toutes les professions concernées, des patients, de leurs familles et amis, à la condition qu’ils ne soient pas instrumentalisés par les puissants au service de leur pouvoir ravageur, il nous faut devenir plus pédagogues pour montrer l’ampleur du piège qui se referme sur les principaux intéressés et ceux qui les accompagnent. 
Les associations de professionnels doivent faire alliance avec eux afin de les aider à quitter cette illusion de l’homme neuronal qu’il suffirait de traiter biologiquement et comportementalement pour que la maladie mentale devienne une maladie « comme les autres ». A ce sujet, l’exemple de l’autisme est frappant, car il est la caricature de l’idéologie régnante sous le couvert de la générosité hypocrite de l’inclusion scolaire généralisée. Là encore les trésors découverts par les psychopathologues transférentiels ont été mis sous le tapis de la science avec des arguments dignes de l’Inquisition. 
Il nous faut lutter ensemble pour retrouver une cohérence dans la prise en charge humaine de la souffrance psychique qui laisse sa place à tout ce qui peut aider le sujet en déshérence à pouvoir compter sur ses soignants et ses amis sans être emmerdé par un a priori numérisé qui ne peut que le ravaler au rang d’une statistique supplémentaire. Non le sujet n’est pas un pourcentage, c’est un citoyen qui a besoin de la compassion de ses concitoyens et de la passion de ses soignants. De tout cœur avec vous,

Pierre Delion

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