
Et si le ministre de la Santé s’intéressait vraiment à la psychiatrie…

D’après « LA CHANSONNETTE », interprétée par Yves Montand,
Musique originale : Philippe Gérard
Paroles adaptées par MHB pour le Collectif Grand Est :
« HALTE A LA CASSE »
Paroles
Les soignants, les instits, les éducs, les orthos, les psys en grève !
Les A.S. et les profs, secrétaires et ergos, y a plus de trêve !
Plateformes standardisées, décrets, arrêtés.
Camisoles, ritaline, amphétamines.
Hôpitaux sinistrés, patients maltraités,
Files d’attente !
Fermetures, destruction-des-institutions,
Ça suffit le carnage, on a tous la rage !
On veut faire nos métiers,
Sans tri, sans presse – mais ouais !
Les enfants sont réduits en neurobiologie, y a plus d’paroles
Protocoles aliénants, tests stigmatisants, depuis l’école !
Stop à l’hypocrisie, la technocratie, handicaps multiplie, Dsm, Qi.
L’av’nir assassiné, c’est urgent d’s’indigner,
Avant qu’on crève !
De la pensée unique, des diagnostics,
de l’absence d’éthique, d’approche clinique
La Police des pratiques – C’est ça la folie,
Faut l’dire !
Non à tous les diktats, H.A.S., A.R.S, ni bonnes, ni pratiques,
Refusons d’être aux ordres d’un pouvoir sans finesse, autocratique !
L’écoute de la souffrance, pas sur ordonnances, ni temporalité en quelques séances…
Mais ils n’oublient jamais, Big Pharma qui les met,
Tellement en transe !
Les lobbys de tous poils ont intérêt,
A not’santé mentale et même l’Oms
Voudrait faire table rase – des institutions, Ça non !
La, la, la, haut les cœurs, avec nous tous en chœur,
Halte à la casse !
De la crèche à l’Ephad, gestionnaire escalade,
Y a trop d’menaces !
Ne lâchons rien, tenons, faisons résistance,
Ou ce serait trop grave pour notr’ descendance
Et n’oublions jamais, solidarité met, le coeur en fête !
Il faut du temps c’est vrai, pour triompher,
Du mépris libéral de cette société,
Mais unis nous gard’rons – pouvoir sur nos vies, Oh Oui !
Le Collectif Grand Est
Nos revendications :
Accès libre aux soins pour tous
Augmentation générale de tous les salaires !
Attribution immédiate des 183 euros à tous les « oubliés » du Ségur !
Refusons de participer au tri des patients faute de moyens
Refusons l’imposture de l’école inclusive à marche forcée
Arrêt immédiat des fermetures des lits et des structures de soin
Retrait des plateformes d’orientation et de coordination
Retrait de tous les arrêtés et décrets qui organisent la pénurie et la destruction des institutions
Embauches massives et pérennes de personnels soignants à hauteur des besoins.
A la suite de la publication de l’ouvrage L’enfance mise au pas, paru chez L’Harmattan,
le Groupe Enfance du Collectif des 39 organise le dimanche 29 janvier 2023 de 9h30 à 17 h30 à l’AERI (57 – 59 Rue Étienne Marcel, 93100 Montreuil) une journée de rencontre ouverte aux parents, professionnels, citoyens qui se questionnent sur les soins psychiques apportés aux enfants.
Depuis sept ans, le Groupe Enfance où se réunissent soignants, travailleurs sociaux, universitaires, s’élève contre la panoplie de lois, de décrets et autres textes administratifs et réglementaires qui ont complètement modifié depuis 2002 le dispositif de santé que nous enviait le monde entier.
Au nom d’une soi-disant Science et d’une vrai conception marchande de la santé, table rase a été faite d’une réflexion et d’un savoir centenaire, nés sur les décombres de la barbarie des guerres mondiales. Ce déni de l’importance de la parole, du langage et de l’histoire de chacun dans le développement du « petit homme » a imposé une conception neuro machinique, régressive, nous ramenant des siècles en arrière.
Les professionnels ne peuvent plus exercer leur métier dans l’intérêt des enfants, mais doivent se soumettre à des protocoles et à de bonnes recommandations qui imposent des grilles chiffrées.
Aussi le 29 janvier, c’est autour d’une parole ouverte portée par des artistes, des professionnels de l’école, du soin, que nous tenterons d’ouvrir d’autres horizons pour retrouver curiosité, inventivité, si nécessaire au devenir de l’enfant.
Communiqué de l’USP du 27 septembre 2022 : Soins psychiques en voie d’exécution
Nous le constatons chaque jour sur le terrain : il devient de plus en plus difficile de soigner les personnes en souffrance psychique. Tout est fait pour les maintenir en dehors du soin psychique.
L’inaccessibilité aux consultations en centre médico-psychologique en raison de délais trop longs voire refus de prise en charge (manque de personnel), les consultations aux durées raccourcies, aux fréquences diminuées (manque de personnel), des hospitalisations trop courtes voire refusées (manque de lits) sans alternative qui tienne (manque de personnel), mais aussi l’impossibilité pour les personnels de se consacrer comme il le faudrait, par la présence et l’écoute, aux patients présents, faute de disponibilité psychique (manque de personnel), tout concourt à rendre les soins psychiques impossibles.
Si ces manques empêchent les soins dans le service public, c’est que d’autres choix ont été faits par le président Macron et le ministère de la santé depuis plus de 5 ans.
Le choix de nier la profondeur existentielle de chaque être humain et par là-même la nécessité de temps et de rencontres interhumaines à un sujet souffrant pour aller mieux.
Certes tout ceci coute beaucoup d’argent. Cela ne colle pas à « l’Euro près », qui a succédé au « quoi qu’il en coûte ».
Pourtant le gouvernement a parfaitement conscience de la situation mais n’en cherche de solution qu’économiquement rentable. Les catastrophes individuelles et collectives (sociales, écologiques, internationales) se multiplient, les enfants, adolescents, jeunes adultes vont très mal, se suicident, le niveau d’anxiété de chacun a fortement augmenté, les dépressions sont en forte hausse..
Le gouvernement a choisi sa cible depuis deux ans : les psychologues.
C’est avec eux majoritairement que le travail psychique peut se faire, de façon adaptée à la demande du patient, dans la durée et la profondeur s’il le faut (psychanalyse, psychodynamique, psychothérapie institutionnelle, thérapie familiale…) ou de façon plus pragmatique et courte (thérapies comportementales, EMDR, thérapies contextuelles…)
Au-delà des psychologues, la pluralité des approches proposées par le professionnels du soin psychique est une chance ! Pourquoi la refuser ??
Or depuis plusieurs années déjà, le gouvernement détermine par la loi les contours voire les contenus obligatoires des soins psychiques : de l’éducation thérapeutique de la loi HPST de 2009 aux modalités de prises en charge des enfants présentant des dits troubles neuro-développementaux dans l’arrêté du 10 mars 2021 faisant obligation aux psychologues d’utiliser des méthodes cognitivo-comportementales, jusqu’au forfait MonPsy (8 séances remboursées par la Sécurité sociale mais sous-payées aux psychologues agréés, c’est-à-dire entrant dans les clous des TCC). Sans compter la nouvelle tarification à l’activité introduite en psychiatrie le 1er janvier 2022 qui va forcément infléchir nos pratiques pour faire du chiffre. La pression se fait déjà sentir.
De tels « parcours des soins» pré-déterminés ne sont d’ailleurs plus appelés psychothérapie (quelle offense mais surtout quelle erreur sur ce qu’est une psychothérapie !) mais « accompagnement psychologique ».
Quelle arnaque de penser que les français vont aller mieux avec tout ça !
Alors aujourd’hui l’USP s’insurge contre ces décisions nuisibles.
Outre la défense d’un niveau de vie digne pour tous et contre le gouvernement accentuant la précarité de beaucoup, l’USP se mobilise auprès des psychologues le 29 septembre 2022. Car les psychologues, comme les psychiatres, témoignent et interrogent ce qu’il y a d’humain en chacun de nous. Les bâillonner voire les éliminer revient à considérer l’individu comme une machine à produire, efficace, rentable, au garde à vous et rien de plus.
L’USP appelle avec les psychologues à la manifestation du 29 septembre de défense de l’ensemble des soignants et du service public.
Delphine Glachant, présidente, et le Conseil national de l’USP
La politique de l’autisme en France ou le retour tragique de la ligne Jdanov
Dépasser la haine.
Pierre Delion, Août 2022
Le « CPRL » lance une pétition/lettre ouverte au Président et ministres concernés… à signer là
Pour en savoir plus sur le Comité Permanent de Résistance et de Liaison pour la défense du soin psychique, de l’enseignement et du médico-social :
Le Comité s’est créé le 28 avril 2022, dans la logique des rencontres en visio, organisées par le Collectif Grand Est depuis un an.
La nécessité de rassembler tous ceux qui y ont pris part, et bien sûr d’autres également, s’est imposée afin d’organiser un lieu à la fois de résistance, de débats (faire circuler la parole), d’échanges d’informations et d’expériences de lutte, de solidarité (cela de façon pragmatique, ex : caisse de grève pour un soutien financier), entre les nombreux collectifs de défense qui se créent chaque jour sur tout le territoire français face à la destruction de nos lieux de soins et d’enseignement.
C’est aussi un outil pour nous permettre de défendre tous ceux qui sont concernés (enjeux à la fois sanitaires, politiques, démocratiques, anthropologiques). Ce maillage entre nous, est une force en soi afin de contrer les coups de nos gouvernements successifs. Il peut aussi constituer une veille mais pas seulement, compte tenu de l’urgence de la situation de destruction qui touche nos secteurs.
Ce Comité est à la fois trans-sectoriel (Hôpital public, médico-social, libéral, enseignement) et pluri-disciplinaire. Actuellement, le Comité est un espace unique de paroles, de rencontres et de luttes, qui rassemble plusieurs champs et métiers. En ce sens, il est absolument nécessaire
Organisation du Comité : refus d’une organisation hiérarchisée avec un leadership.
Proposition de constituer une équipe de « délégués » pour organiser et gérer le mouvement. Ceux-ci pourraient tourner. Il s’agit de travailler sur des textes, des communiqués, des actions, des soutiens.
Chaque personne intéressée pourra se proposer comme déléguée en fonction de ses disponibilités.
La lettre/pétition est le socle sur lequel on se rassemble :
A l’invitation de l’association « Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui », Mathieu Bellahsen s’est exprimé sur le plateau des Glières le 29 mai 2022 « pour relater une expérience concrète d’émancipation dans la psychiatrie publique réprimée par celles et ceux qui la saccagent sans vergogne. Récit en écho des abandons et répressions dans l’hôpital public ».
Depuis une dizaine d’années avec un collectif de soins comprenant des soignants et des patients-usagers-psychiatrisés du secteur d’Asnières sur Seine en banlieue parisienne, nous mettions en place patiemment, pas à pas, un travail de psychothérapie institutionnelle s’appuyant sur la centralité du droit des patients.
En deux mots, la psychothérapie institutionnelle a émergé au coeur de la catastrophe, de la Guerre d’Espagne, des camps d’internement et de la Seconde Guerre Mondiale en partant du postulat qu’il fallait soigner le milieu de soin, pour que d’aliénant celui-ci devienne thérapeutique.
La psychiatrie continue d’être hantée dans ses pratiques quotidiennes par les agissements du spectre asilaire, des maltraitances ordinaires qui s’ignorent – dont celles des soignants-, des postures bureaucratiques sadiques assumées aux noms du bien des patients et de leurs déraisons, spectre asilaire qui continue de leur dénier la citoyenneté commune.
En dix ans, nous étions arrivés à des fondements solides mettant la parole, les actes et les gestes des premiers concernés, les patient.e.s-usager.e.s-psychiatrisé.e.s, comme source de l’instituant de nos dispositifs de soins. Nous avions banni les pratiques de contentions physiques. Les portes de l’unité d’hospitalisation étaient ouvertes malgré les pressions récurrentes des administrateurs de gardes et des équipes des autres pôles. Nous nous appuyions sur les rapports toujours positifs de la Haute Autorité de Santé et du Contrôle Général des Lieux de Privation de Libertés concernant le service.
Les réunions des collectifs de soins (patients et soignants) se déroulaient sur tous les lieux du secteur (hôpital de Jour, unité d’hospitalisation, Centre d’Accueil Thérapeutique à Temps Partiel, Centre Médico-Psychologique). Pour lutter contre les cloisonnements des soignants, poison clivant dans la clinique quotidienne, une réunion hebdomadaire de l’ensemble des professionnels du secteur avait été instituée pour que la créativité et l’inventivité de l’équipe se déploie; pour penser les circulations physiques et psychiques, pour affronter ensemble les difficultés des soins nécessairement singuliers dus aux personnes prises dans des tourments traumatiques, délirants, suicidaires, abandonniques, psychotiques.
Les clubs thérapeutiques, espace de décisions et de démocratie directe, prenaient la forme d’association loi 1901, l’association Et Tout et Tout du Journal, la radio Sans Nom – Colifata France, travaillaient à des rapports plus horizontaux, plus égalitaires entre toutes et tous. Les liens avec la municipalité, avec les copains du monde culturel (le T2G – théâtre de Gennevilliers) et avec les autres collectifs de soins au sein du TRUC (Terrain de Rassemblement pour l’Utilité des Clubs) développaient un réseau intense et riche ainsi qu’avec des associations militantes tels que le CRPA, HumaPsy (Zyplox d’Humapsy se tenait ici-même en 2019)…
Les soignants investis dans ce travail de transformations concrètes y allaient corps et âmes, au sens propre avec le développement de nombreuses pratiques corporelles et psychothérapiques inventives. Cela n’allaient pas sans résistances internes où une partie de soignants se sentait mis en accusation par les patients alors que ceux-ci les interrogeaient de façon légitime sur le pourquoi de tel fonctionnement, sur les postulats arbitraires « allant de soi».
En 2019, jusqu’à la manifestation du 14 novembre, nous étions de toutes les luttes pour la psychiatrie publique, pour l’hôpital public car nous vivions la désertion progressive des professionnels et les conditions d’accueil dégradées voire dégradantes des patients. Là comme ailleurs, les recrutements se faisaient de plus en plus difficiles, amenant des tensions surajoutées à la vie habituelle des services. Quelques semaines avant le covid nous rappelions à l’ensemble de l’équipe que « le directeur de l’hôpital c’est le patient » et qu’un secteur de psychiatrie n’est pas fait principalement pour les soignants mais bien pour répondre aux besoins des personnes qui s’y soignent.
Fort de tout ce travail, le secteur d’Asnières était jugé comme à part au sein de l’établissement de Moisselles. A part du fait du travail clinique qu’une bonne moitié du service soutenait, des analyses politiques que nous partagions et de nos pratiques liant ces registres avec les droits fondamentaux.
En mars 2020, le covid arrive et met un couvercle sur ce moment de crise que nous traversons. Le clivage principal au sein de l’équipe est le suivant : certains soutiennent les prises de pouvoir sur les patients, les enfermements, le non-respect de leurs paroles. D’autres, dont nous sommes, ne s’accommodent pas des solidarités professionnelles se faisant contre l’expression des patients et de leurs libertés fondamentales.
Par la suite, certains des soignants du service rétifs aux transformations décidées avec les patients seront les moteurs de la réaction asilaire contre les pratiques émancipatrices. Ils feront une alliance avec la direction contre les psychiatrisés et contre les soignants soutenant la parole des psychiatrisés dussions-nous nous opposer aux logiques corporatistes soignantes.
En avril 2020, une unité covid s’ouvre au sein de l’établissement de Moisselles. Sur le papier, il est expliqué que tout patient entrant reste trois jours « isolé » dans sa chambre le temps d’avoir un test. Pour les covid positif, le protocole les « isole » 14 jours. Très tôt avec les médecins du service nous nous apercevons que les patients sont isolés non au sens de la médecine infectieuse mais au sens de la psychiatrie, c’est à dire : enfermés à clé. Le 15 avril, j’envoie un mail à la direction resté sans réponse sur la confusion entre isolement psychiatrique et isolement sanitaire que je renommerai « confinement sanitaire » pour que le mot isolement ne nourrisse pas cette ambiguïté initiale.
Les enfermements se poursuivent. Dans la nuit du 7 au 8 mai 2020, cette fois-ci sur l’unité d’Asnières, deux personnes ont de la fièvre faisant craindre un confinement général de l’unité car le troisième cas transforme l’unité en cluster. Cette nuit-là, les verrous de confort – que nous avions obtenu quelques années plus tôt pour que les patients puissent s’enfermer eux-mêmes dans leur chambre pour avoir leur espace personnel – seront renversés en verrous d’enfermement.
Aucune enquête administrative n’ayant été diligentée, la lumière ne sera jamais faite sur qui a pris cette décision d’enfermer tous les patients à clé en chambre simple et double. Est-ce le directeur de garde ? La psychiatre de garde ? Les deux ? Toujours est-il que les serruriers, eux, ont reçu des ordres et que tous les patients ont été bouclés.
Ironie de l’Histoire, le lendemain c’est le 8 mai 2020, fête de la Libération. Une jeune psychiatre de garde est sollicitée par la direction pour aller prescrire les enfermements. Courageuse, elle refuse au nom de sa déontologie et de son éthique. On ne peut enfermer à clé sans motif psychiatrique. Elle est menacée d’un signalement à l’ARS pour mise en danger de la vie d’autrui. Elle ne se soumet pas et me prévient le 9 mai au matin de ce qui s’est passé.
Devant la gravité des faits, devant les mails restés sans réponse, et après discussion avec certains de mes collègues psychiatres et cadres et la présidente de la Commission Médicale d’Etablissement, décision est prise d’alerter immédiatement le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté, au nom des soignants du service qui pensent que le covid ne peut pas servir d’argument contre l’état de droit et les libertés fondamentales. Nous informons aussi la direction de l’établissement et les médecins chefs des autres pôles de cette alerte. J’écris également un signalement au Procureur de la République au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale en qualifiant les faits de « séquestration » collective, de plus de 8 jours, faits passibles tout de même de 30 ans de prison.
Le 11 mai, un patient se jette par la fenêtre d’une des chambres de l’unité covid.
Le 18 mai, l’équipe du CGLPL fait une visite surprise et saisit les tutelles et la direction de l’hôpital d’une recommandation en urgence en date du 25 mai en faisant sienne la distinction entre le confinement sanitaire et l’isolement psychiatrique. Le CGLPL parle de pratiques illégales et de maltraitances mises en œuvre dans des conditions indignes. Les portes des chambres de l’unité covid se réouvrent fin mai avec son lot de traumatismes psychiques pour les patients ayant vécu ces séquestrations.
Début mars 2020, nous avions publié avec Rachel Knaebel et Loriane Bellahsen « la révolte de la psychiatrie. Les ripostes à la catastrophe gestionnaire ». Pendant le confinement, nous recevions des infos sur la généralisation discrète de ces pratiques confondant isolement psychiatriques et confinement sanitaire. Nous en avons fait part au CGLPL. Ayant mené sa propre enquête, Adeline Hazan et son équipe décident de publier le 19 juin 2020 au Journal Officiel la quatrième recommandation urgente concernant un établissement public de psychiatrie, Moisselles. Les médias relayent l’information au niveau national.
Dans le même temps, une lettre anonyme arrive à la direction nous accusant moi-même, l’encadrement du pôle et des professionnels parties prenantes du travail de psychothérapie institutionnelle de « harcèlement », « maltraitance » et « abus de pouvoir ». Les motifs invoqués pour légitimer ces propos sont d’avoir aidé à créer un Groupe d’Entraide Mutuelle (GEM) avec les patients, d’avoir embauché un éducateur sur un poste d’infirmier, d’avoir autorisé une psychomotricienne et un psychologue à faire des visites à domicile pendant le premier confinement. D’autres reproches concernent la médecin responsable de l’hôpital de jour où les « anonymes » se plaignent de la perte de sens de leur travail au fur et à mesure que les patients étaient plus actifs dans les décisions et dans ce qu’ils voulaient pour leurs soins.
Je ne prendrai connaissance de cette lettre anonyme que le 8 juin 2020 quand la direction diligentera une enquête administrative pour faire la lumière sur ces accusations anonymes de délits. Dans le même temps, après la publication de la recommandation au JO, nous sommes mis à l’écart des groupes de l’établissement sur les droits des patients.
Début juillet 2020, la direction nous demande des comptes à chaque sortie non autorisée de patients parlant, à tort, de « fugues ». Je passerai sur l’enquête administrative à charge, partielle et partiale à charge qui a duré neuf mois et qui a refusé de rencontrer 25 professionnels du secteur qui l’avaient demandée officiellement et à plusieurs reprises. Ces 25 professionnels étaient moteurs dans ce travail de désaliénation… Je passerai sur le refus de nos droits fondamentaux d’être entendus au titre d’une instruction équitable. Ce refus fait l’objet d’un recours devant le tribunal administratif, ainsi qu’au pénal. Le Défenseur des Droits s’en est saisi pour instruire une enquête étant donné la gravité des faits et les répressions subies.
Rappelons qu’aucune enquête administrative n’a eu lieu sur les privations de liberté. Les médecins ayant enfermé indument ont été remerciés… Au sens de féliciter. La directrice de l’établissement a vu son nom publié au Journal Officiel six mois après la recommandation du CGLPL pour une cérémonie d’attribution en Préfecture de la médaille de l’Ordre du Mérite…
Continuant ses excès de pouvoir et ses calomnies, en juin 2021 la direction de l’établissement va plus loin et publie une note de synthèse nous accusant – et c’est écrit noir sur blanc -« d’épuration de professionnels », de « morts de patients » et des « fugues ». Cette note diffamante passe alors dans les différentes instances de l’hôpital.
Le 8 juillet 2021, la directrice prend la décision de me retirer la chefferie de pôle au motif que cela apaisera la situation et apportera une amélioration des conditions de soins pour les patients. L’établissement nous dit alors que ce n’est pas une sanction disciplinaire. Les patients écrivent des courriers aux tutelles, à la direction. Ils ne recevront aucune réponse.
Je passe sur la complicité de l’ARS et du Ministère de la Santé qui refusent aux syndicats une enquête de l’IGAS sur le fonctionnement de cet établissement. Je passe encore sur la complicité de certains représentants locaux de l’association de famille UNAFAM qui a parlé de « descente du CGLPL » en légitimant les enfermements. Je passe enfin sur la complicité de la CGT locale qui a préféré défendre l’image de l’établissement, des professionnels complices, des enfermements et des soignants contre les pratiques institutionnelles du secteur d’Asnières en faisant des alliances malsaines avec la direction.
En août 2021, le service d’hospitalisation met la clé sous la porte. Tout le collectif des psychiatres du secteur part ainsi que de nombreux soignants. Les patients hospitalisés sont dispatchés dans d’autres unités. L’unité ne rouvrira que fin octobre 2021 avec 14 lits de moins. Retour à l’anormal, la porte du service est de nouveau fermée à clé. Pourquoi se priver d’économies et d’enfermement ? Dix ans de travail détruit en quelques semaines.
Pour vous laisser juges des priorités du pouvoir concernant le droit des patients, il y a quelques semaines à Chinon, la CGLPL Dominique Simmonot a écrit un courrier au Ministre de la Santé pour témoigner d’un secteur de psychiatrie se passant des contentions, n’ayant que peu recours aux chambres d’isolement, travaillant les portes ouvertes et valorisant la parole et les décisions des usagers. Un service comme l’était le nôtre. Qu’a répondu le ministre ? Qu’il soutenait les réorganisations de l’hôpital de Chinon. Même si ces dernières devaient se faire au détriment des bonnes pratiques du secteur de la psychiatrie et contre les Droits fondamentaux des patients.
Dix ans de travail détruits sur l’autel des abus des directions hospitalières, des politiques de santé criminelles et de ces agents exécutant qui refusent de voir les patients comme des sujets de soins et des sujets de droit.
Dix ans de travail collectif détruits par des collaborateurs de l’intérieur, des auteurs de lettres anonymes, des soignants qui ont refusé activement la transformation du service dans un sens d’accueil, d’ouverture et d’émancipation en privilégiant les calomnies sur les professionnels engagés.
Notre sentiment collectif est une profonde colère du fait de l’injustice vécue, colère aussi d’une scène manquante pour instruire les conflits profonds sur le sens des soins psychiques.
Aujourd’hui, les patients avec qui nous sommes encore en contact ont peur de se faire hospitaliser car ils savent que l’arbitraire est de retour, que le non-respect de leur parole est fondateur de ce nouveau moment pour le secteur.
A ce jour, je vous laisse juges de l’épuration dont il est question.
Je dédie cette intervention aux patients du secteur d’Asnières et à mes collègues avec qui nous avons construit ce qui restera comme une expérience fondatrice de la psychiatrie d’aujourd’hui dont la répression est à mon sens à la mesure de sa potentialité créatrice et politique et des émergences à venir : Alain, Sylvie, Ourida, Marc, Véronique D., Catherine D., Laurence, Julie, Marie-Laure, Farid, Véronique S., Benjamin, Magali, Laure, Ahmed, Daouda, Laurent, Nadia, Abdel, Estelle, Amélie, Géraldine, Nawal, Sarah, Fatma, Justine, Aurore, Cora, Mathilde, Zoé, Moutiou, Catherine, Hakim, Patricia, Dimitri, Mathilde, Jad, Baptiste, Alfredo, Benjamin, Maider, Halima, Mina, Michèle, Manon, Gilles, Samantha, Emilie, Noémie, Sabrina, Meriama, et quelques autres…
Mathieu Bellahsen, le 29 mai 2022
Pour lire également ses autres publications : blog Mediapart de Mathieu Bellahsen.
Grand Meeting à Tours le 20 mai à 18 h 30 : « Quel avenir pour la psychiatrie en Indre et Loire ? » Salle Villeret, Maison de Quartier des Fontaines, 11 rue de Saussure.
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