Chronique d’une journée Extra ordinaire

Chronique d’une journée Extra ordinaire

Aujourd’hui on aurait dû faire avec certains patients de notre unité fermée, une sortie thérapeutique (comme il y en a quelques dimanches par an) mais voilà le covid est passé par là, alors pas de sortie, qu’à cela ne tienne on a organisé une journée exceptionnelle dans le pavillon. 

Petit déjeuner bacon et œufs brouillés, viennoiserie et vraies baguettes. Matinée balle aux prisonniers, fresque collective et Time’s up. Repas fait maison, salade, poulet rôti et riz zembrocal, café et petits gâteaux. Repas partagé où 30 patients en soins sous contraintes avec l’équipe des soignants se restaurent sur une longue tablée dehors dans une ambiance festive. Après-midi blind test et photo avec accessoire rigolo dans des cadres aménagés, goûter gaufre.

Cette journée fut une bouffée d’air frais pour tous, l’angoisse se dissipe un peu, le lien à l’Autre se fait un peu plus, le lien soignant/soigné se renforce un peu plus, le délire se contient un peu plus, une journée où la relation est au cœur du dispositif et où l’on rentre chez soi avec la certitude d’avoir fait du bon travail. Et ça fait du bien.

Dans ces jours sombres où l’on perd parfois le sens de notre soin c’est un rappel que c’est encore possible, que l’énergie soignante est encore là mais qu’il faut parfois un petit coup de pouce pour se lancer. Dans ces jours lumineux, l’institution est soignante, le cadre est contenant et les patients sont bien.

Je souhaite que ces jours perdurent, et qu’ils y en aient plein d’autres, je souhaite que l’on arrive à trouver la formule pour faire comprendre à nos têtes pensantes que la relation soigne. Je souhaite que l’on trouve ensemble un projet cohérent pour que la psychiatrie, la belle psychiatrie, fasse encore de beaux soins et accompagnements pour nos patients. Je pense qu’il faut partir de la base, de la formation, de ce que l’on transmet à nos stagiaires, a nos instituts de formation et que l’on soit étayé pour ça par des médecins chef de service qui ont un projet pour leur service, un vrai projet et une cohérence dans le cheminement des patients dans leur parcours de soin. 

Je voulais juste partager cette journée avec vous.

Caroline, ergothérapeute à La Réunion.

D’une pédopsychiatre, mars 2020

Extrait d’un mail – Liste du Printemps de la psychiatrie

 

Depuis le 16 mars et la fermeture aux patients du CATTP pour jeunes enfants, du CMP enfants et du SESSAD, mon travail consiste de chez moi à appeler très régulièrement les familles, répondre à deux whatsapp mis en place pour garder le lien entre professionnels et les montagnes de mails que je reçois, car oui, le COVID 19 m’a forcé à entrer dans le 21ème siècle car avant le 16 mars, je ne savais pas lire mes mails pro depuis chez moi…

Contrairement à certains mails que j’ai pu lire, de mon côté je n’arrive pas à trouver le moindre point positif à cette nouvelle pratique. Je ne remets pas en question le fait que c’est important d’appeler, de soutenir les familles et les enfants. La plupart des familles de ma file active sont dans des précarités multiples et qui s’additionnent : sociale, économique, psychique, numérique… beaucoup de familles monoparentales, déracinées (sans soutien familial ou amicaux), mères seules avec leurs jeunes enfants dans de tout petits appartements parisiens… Alors, les bons vœux des ARS, des directions de développer des téléconsultations, des supports numériques éducatifs etc… je rêve!… la plupart n’ont pas d’ordinateur, d’imprimante et même de mails… depuis le 16 mars, de chez moi, j’ai imprimé des tas d’attestation que j’ai envoyées par la poste (qui fonctionne encore) à ces familles sans imprimante et ces mères qui ne savent pas écrire, lire de manière fluide… et donc sans attestation elles restaient chez elles coincées avec leurs enfants. Quelle honte d’avoir mis en place ces attestations, creusant encore plus le fossé entre « les bien lotis » et les autres…

Je pourrais aussi vous parler des familles sans papiers qui arrivaient tant bien que mal à vivoter en travaillant au noir et là qui se retrouvent sans ressources…

Peu de mes petits patients sont dans le langage, alors au téléphone, certes il y a la prosodie, ma voix mais tout ce qui fait la pratique pédopsychiatrique de jeunes enfants ne peut se faire au téléphone! la rencontre, l’échange, le langage corporel, infraverbal…. 

Pour certains, un peu plus grands du CMP,  je les aide dans leurs devoirs car leurs parents ne peuvent pas les aider… On a dû aussi solliciter l’aide du service de traduction avec lequel mon hôpital a une convention, pour qu’ils puissent traduire des mails, que les familles puissent les appeler si besoin car mes compétences en chinois, hindi sont bien évidemment nulles…

Je suis donc là, à accompagner, soutenir, trouver des solutions pour que les familles puissent manger, aider aux devoirs, écouter les parents dont certains ont des pathologies psychiatriques non suivies, pas simple de parler, d’accompagner une mère psychotique interprétative et persécutée au téléphone sans le feed back de l’échange en face à face… Mais bon, avec mon équipe, on y arrive pas trop mal il me semble car on avait tissé des liens de confiance avant (« en chair et en os »)…

Là, où je crains le pire c’est que les ARS, les directions des hôpitaux, qui déjà avant le coronavirus nous gavaient avec les téléconsultations, les supports « prêt à l’emploi » pour telle ou telle pathologie, ne profitent de cette expérience pour nous les imposer par la suite… Effectivement les lieux d’accueil sont fermés mais on continue à produire des actes, alors pourquoi avoir tant de lieux d’accueil physique si le télétravail fonctionne? L’hôpital pour lequel je travaille nous a très rapidement, après l’annonce du confinement, envoyé la procédure pour coter nos actes de télétravail et se félicitait d’avoir pu rajouter rapidement un onglet « téléconsultation ».

Je crains que comme les lieux d’accueil en pédopsychiatrie sont fermés actuellement, ne germent dans la tête de certains l’idée de fermer définitivement, après la crise du coronavirus, certains lieux. Je rejoints les collègues qui, au sein de la commission outil gestionnaire, prônent l’arrêt de la cotation. Certains me disent mais non! si on ne justifie pas du travail que l’on fait, alors l’administration pourrait penser que l’on ne fait rien et nous imposer d’aller travailler en psychiatrie adulte pour aider les collègues de l’intrahospitalier (il n’y a quasiment pas de lits en pédopsychiatrie, autre problème…) qui vont être en sous effectifs du fait des arrêts maladies liés au Covid 19 et l’arrivée de patients infectés. D’ailleurs, l’administration a déjà demandé aux personnels de pédopsy des volontaires (pour l’instant) pour ces unités Covid + en psy adulte, bientôt peut-être des réquisitions? et quid des enfants, du pseudo suivi que l’on essaie de faire actuellement mais qui reste important.

J’ai appris par un collègue que des foyers de l’ASE auraient, suite à l’annonce du confinement, envoyé en urgence des enfants placés en foyer dans des familles d’accueil volontaires en province et ce, sans prendre le temps d’en parler aux principaux intéressés, pour pouvoir libérer des places en vue d’un afflux plus importants de placements d’urgence du fait de l’augmentation des violences conjugales avec le confinement. Quelle maltraitance… 

Lucien Bonnafé disait: « On juge du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses fous » et je rajouterais « ses enfants en souffrance ».

(…)

 

 

 

L’hôpital et moi, une longue histoire

L’hôpital et moi, une longue histoire

Je nais, comme mes aîné-e-s, dans une maternité attachée à un petit hôpital dans la petite ville où ma famille vit. La maternité disparaîtra, comme beaucoup d’autres, et deviendra le V80 (c’est moche, non ?) où ma grand-mère maternelle, tôt veuve, finira sa vie, encore longue. Plus tard c’est une tante qui y sera conduite, elle ne voulait pas quitter sa maison, elle a résisté jusqu’à ne plus pouvoir y rester et est morte très rapidement une fois hospitalisée. Les temps avaient déjà changé.

Je grandis et me heurte à toutes sortes de mystères, de non-dits desquels surgissent quelques mots étranges comme « maniaco-dépressif ». Deux membres de ma famille semblent être atteints de cette maladie dont on parle à voix basse entre adultes mais les enfants à proximité qui n’en perdent pas une miette. La honte s’installe, c’est une maladie honteuse, difficile de la cacher dans une si petite ville où certains sont connus. Et les messes basses continuent, accompagnées de manifestation de compassion, d’encouragements, voire certaines, certains apparaissent comme des héros qui se sacrifient pour leurs drôles de malades.

Dans ces années-là à la campagne, un autre mot m’interpelle, me frappe quasi littéralement le corps : celui de cancer. Il se trouve en plus que mon signe zodiacal est « cancer » ! Beaucoup de paysans meurent de ce mal mystérieux, on ne parlait pas encore des méfaits des engrais et autres tueurs chimiques. Ma famille est touchée.

Mais aussi il y a eu, il y a encore, les guerres : c’est une région qui a été dévastée en 14-18, la ferme est détruite, on la reconstruit, on emploie des étrangers, aux champs, à la maison : des Polonais-ses. Elles, surtout, les femmes sont presque des filles de la famille. Je me souviens encore du prénom et du nom de l’une d’entre elles. Qu’est-elle devenue ?

Il y a les « héros », nombreux dans ma lignée maternelle et ma lignée paternelle, des résistants. A la « débâcle » de l’armée allemande, il y a encore un carnage : un de mes oncles tombe, il ne meurt pas tout de suite, un de ses compagnons est mort sur le coup, mon oncle meurt avant que les secours médicaux puissent arriver, alertés par son fils. C’est un drame, une tragédie familiale, qui accompagnera mon enfance, laissera des traces toute ma vie.

L’aîné de ma famille élargie, de ma génération, est parti « faire la guerre d’Algérie », il reviendra une fois en permission nous apportant des oranges. Vrai faux-souvenir ? Il est tué en Algérie. Sa mère, surtout, son père sera moins disert, restera éplorée longtemps, je n’oublierai jamais cette tombe ornée de fleurs blanches à profusion par ma tante, jusqu’à sa mort. Ses sœurs en resteront marquées à vie.

Ah les hommes de ces familles-là, il y aurait des livres entiers à écrire, morts aux champs d’honneur des guerres, des maladies épidémiques plus récentes, parfois mystérieuses. Un petit-fils de ma tante ci-dessus évoquée meurt au service, dans un pays en guerre, mais de maladie, l’armée française ne livrera jamais le secret de cette maladie, le corps de mon petit-cousin ne sera rendu à sa mère que beaucoup plus tard, trop tard.

Il y eut aussi d’autres morts étranges, d’hommes, encore : le fils de l’oncle tué par les Allemands à la fin de la guerre, celui qui était allé chercher du secours pour son père, sans en avertir personne, avait disparu : le père était mort, le fils disparu quelques heures. Vous imaginez l’effroi ? Cet homme-là, après avoir vécu une vie d’homme, époux, père de famille, apprécié de tous et de toutes – c’était un très bel homme qui faisait danser les femmes dans les bals du village qui étaient des fêtes inouïes, pour lesquelles on tuait le cochon, cet homme-là eut un accident de voiture, sur une petite route de campagne qu’il connaissait bien. Il était seul sur la route, sa voiture alla percuter un arbre. Sa femme, toujours vivante, a une autre hypothèse. Nostalgie ? Rêve éveillé de mon enfance, plutôt, car trop jeune à l’époque, je n’ai jamais dansé dans un de ces bals.

J’ai 15 ans, nous avons depuis peu le téléphone, et j’entends mes parents répéter avec stupéfaction: il ne parle plus. Un de mes cousins du côté paternel a tout à coup, a cessé de parler. C’est totalement incompréhensible pour moi, comment peut-on ne plus parler ? Il est conduit à l’hôpital psychiatrique du département, il y restera longtemps mais au décours de son hospitalisation il épousera une dame rencontrée dans ce même lieu. Ça murmure dans la famille, mais ils sont adultes, personne ne peut s’y opposer même pas les curatelles. Il mourra brutalement, d’une rupture d’anévrisme. La faute à qui, à quoi, je garde mes hypothèses pour moi.

L’hôpital psychiatrique, les cliniques psychiatriques et l’accueil des patients en ambulatoire, je les connais plutôt bien, d’un point de vue de membre d’une famille, de citoyenne, de psychologue aussi. J’ai vu le meilleur comme le pire. Et pas toujours là où l’on pouvait les attendre, l’un comme l’autre.

Et en MCO, à l’hôpital général, j’en ai vu et entendu, aussi. Un été bien chaud, un peu moins qu’en 2003 cependant, une dame déjà âgée, qui m’était très proche, est hospitalisée. Je lui rends visite, le personnel soignant est peu nombreux, c’est un dimanche, cette dame a trop chaud, personne n’a pensé à lui faire porter une robe qu’elle a dans son armoire. Elle a subi peu avant une intervention chirurgicale, dans une clinique réputée, dans une autre région que ma région de naissance, sa tension était élevée, l’opération a eu lieu quand même. Nous, ses proches, elle-même, avions fait savoir qu’elle se réveillait très mal des anesthésies nous avions eu peur pour sa vie quelques années auparavant. Eh bien, il arriva ce qui devait arriver, elle se réveilla à nouveau très mal. Ses proches eurent de nouveau très peur. Un épisode de confusion s’en suivit, elle semblait délirer, un infirmier était alternativement un résistant, un SS ou son fils mort dont les cendres reposaient dans le cimetière voisin, suivant sa volonté : manque de sodium, pas diagnostiqué à temps. Chute, fracture, elle est transférée en chirurgie sur un autre site du même hôpital. En un éclair, j’ai un doute : son dossier médical a-t-il suivi ? Question qui peut sembler saugrenue vu que nous étions déjà à l’ère de l’informatisation des données médicales, c’était le même hôpital. J’appelai alors le chirurgien : non, il ne le savait pas, il fit le nécessaire, lui injecta une dose importante de sodium avant de l’opérer. Après cette nouvelle anesthésie, elle n’était plus confuse.

Pendant cette hospitalisation, je m’étais dit : « si l’on voulait faire mourir les personnes âgées, on ne s’y prendrait pas autrement. »

Je passe des étapes de sa vie, elle dut vivre dans une maison de retraite privée, car après un mois de convalescence en soins de suite et de réadaptation dans un hôpital dit pilote, tout neuf), (plutôt chère, mais elle pouvait la payer avec en plus le complément l’APA. Il fallut sans cesse veiller au grain, elle fut ainsi mise sous neuroleptiques sans que sa famille soit avertie car elle était trop agressive avec le personnel : pensez, elle osait dire non ! Le subterfuge découvert, plusieurs de ses filles prirent rendez-vous avec le médecin-traitant : s’il avait pu mettre la porte-parole du groupe sous neuroleptiques, il l’aurait fait ! Cette dame comprit qu’il valait mieux qu’elle change de médecin, elle retrouva sa façon de marcher habituelle. Puis on lui fit passer une échelle d’évaluation de la dépression : j’en eu le compte rendu oral par le médecin coordinateur. Et là, mon sang ne fit qu’un tour. Je lui racontai dans les grandes lignes l’histoire de ma mère, les traumatismes graves subis (elle avait pourtant successivement rencontré un psychologue, puis une psychanalyste), qu’elle avait apparemment surmontés, ce médecin accepta de ne pas lui prescrire d’anti-dépresseurs, ma mère n’en voulait pas !

Elle est morte à l’hôpital de la ville où elle a vécu assez longtemps en maison de retraite, où elle avait déjà trouvé refuge lors de « l’exode » des populations les plus exposées pendant « la drôle de guerre », des suites d’un AVC plutôt limité, mais on s’aperçut qu’il y en avait eu d’autres qui n’avaient pas été diagnostiqués. Je n’oublierai jamais la chaleur, les qualités humaines des soignantes qui l’ont accompagnée à la fin de sa vie, en soins palliatifs, et la possibilité que nous avons eue d’avoir l’usage d’un studio dans l’hôpital, où nous pouvions dormir un peu à tour de rôle pendant les dernières nuits de veille auprès d’elle.

Je sais que dans cet hôpital, tout s’est dégradé à un point sidérant, de manière d’abord « graduée » – pour reprendre ce terme que vous affectionnez particulièrement – comme dans la plupart des hôpitaux aujourd’hui, en quelques années, des mois de lutte des soignants n’y ont rien changé, en MCO comme en psychiatrie. Des bâtiments neufs avaient été construits… avant que la qualité des soins et des relations humaines ne se dégradent très rapidement. Et très brutalement.

Et j’en suis venue à penser, à dire récemment : dans un sens, c’est une chance qu’ils soient morts à ce moment-là, ces proches que j’aimais tant et que j’ai accompagnés autant que possible, avec d’autres membres de ma famille, et des soignants, et un aidant d’une association de malades qui se reconnaîtra s’il lit ces lignes. Et avec le soutien inconditionnel de deux psychanalystes, successivement.

Je pourrais vous en dire bien davantage, les faits ne manquent pas, les propos cinglants à un autre homme de ma famille, de ma génération, le pronostic abusif et faux sur un simple premier scanner, les protocoles d’expérimentation où l’expérimentation, la recherche, comptent bien davantage que le patient qui accepte de s’y soumettre et où un symptôme de quelque chose de très grave est banalisé : ce n’est rien, une indigestion. Il y a des signes qui ne trompent pas, même si l’on n’est nullement médecin ni soignant au sens usuel.

Non mais ! vous voudriez tout savoir sur l’auteure de ces lignes ? Eh bien non, un surnom ou pseudonyme, on en a tous eu à un moment où un autre, non ? Ce n’est pas le privilège des puissants, des rois, etc. Et de toute façon, vous ne pourrez jamais tout savoir, vous ne connaîtrez pas le contenu de mes rêves ! Mais ma colère, vous l’entendez ? ou non ? Celles de toutes celles et ceux qui vont marcher ensemble dans des rues de Paris et d’ailleurs ce vendredi 14 février.

Z’avez pas un p’tit reste de sensibilité à la douleur d’autrui, à son épuisement, à son sentiment d’impuissance à devoir faire des choix épouvantables, à l’angoisse qui saisit un grand nombre avant d’aller travailler, la boule au ventre, à la gorge, parce qu’il faudrait se taire, ne pas dénoncer l’insupportable quand nous ne pouvons plus exercer nos professions comme nous aimons encore le faire, malgré tout ? Pas de sensibilité à la souffrance des malades, des patients, des dits usagers des services publics ? Complètement sourds, fermés comme des huîtres ?

Madame la Ministre de la santé et des solidarités, Monsieur le Premier ministre, Monsieur le Président de la République, voulez-vous être sous tutelle, ad vitam aeternam ? Pas forcément les mêmes tutelles mais bon ! « Nous avons besoin de vous pour nous aider ! » : c’est bien avec ces mots, Madame Buzyn, ministre de la santé et des solidarités, que vous avez conclu votre allocution au récent Congrès de l’Encéphale ou je me trompe ? Le langage courant le dit : « Il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ! » Et puis, pour grandir, ne faut-il pas lâcher un peu, perdre ? NON ?

Vous résistez : des centaines de migrants peuvent traverser des épreuves les plus rudes, vivre dans l’insalubrité la plus totale, l’angoisse au ventre, les cauchemars dans la tête en continu, votre seule réponse, ce sont les quotas, les reconduites à la frontières, les centres de rétention, etc.

Tenez-vous bien, un jour, un DRH à qui j’avais fait cadeau d’un article d’un psychanalyste sur la difficulté pour une psychologue d’avoir un poste de titulaire – ce n’est pas nouveau, la précarité des psychologues – dans un hôpital de MCO, avait évoqué les myriades de chefs et de sous-chefs qui jouissaient de leur petit ou moins petit pouvoir sur le « petit personnel » eh bien, ce DRH quand j’ai quitté l’hôpital, m’en a fait un, de cadeau, Le livre de la tranquillité (coll. Présenté par Olivia Benhamou, Editions N.1, 1998).

Me considérait-il comme trop intranquille ?

Une, parmi d’autres, qui aimerait vivre un peu plus tranquille

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Deux ou trois remarques concernant la psychiatrie

Deux ou trois remarques concernant la psychiatrie

Par où commencer ? peu importe…

Après des études très ennuyeuses et une licence en poche, je me retrouve à 20 ans à travailler dans un centre d’appel à Paris (« Vous avez une licence de philo ? vous pourrez répondre au téléphone ! ») Un jour au lycée, je cherche un bouquin sur Kafka dans une librairie et je tombe sur un livre étrange, des éditions de minuit, « Kafka, pour une littérature mineure ». Je tombe amoureux de la philo, et file à l’université. Mais là c’est une autre chanson : vieux profs endormis dictant le même cours depuis 20 ans, moines mystiques heideggériens improvisant des poèmes devant des amphis quasi vides, et kantisme à digérer pour assurer n’importe quelle dissertation. « Vous avez un niveau parisien », me sort un prof après que j’ai reproduit dans ma dissertation, en la modifiant à peine, sa propre préface à une traduction de Fichte, qui devait être à l’époque un de ses seuls textes édités. J’y vais mais choisi Paris 8, et non La Sorbonne ou Diderot, et j’ai beaugcoup de temps que je passe dans pas mal de bars de Barbès. Paris m’oppresse vite, mais surtout ma famille ne peut plus m’aider, et je n’ai pas envie de financer tout ça en faisant quatre heures de transport quotidien. Après avoir bien pété les plombs, soignant seul des grosses crises d’angoisse à coup de cuites régulières, on me propose un job d’été qui est d’accompagner des personnes handicapées en vacances. Guattari m’avait aussi fait découvrir Deligny, et je me retrouve enfin dans un boulot ou je suis en relation avec d’autres, qui me font vite relativiser l’intérêt des êtres parlants que la majorité d’entre nous sommes. Dès que je suis responsable d’autres personnes, l’alcool disparait de mon horizon et je me sens utile. Travaillant le moins possible, suivant à la lettre les recommandations de Mr Debord (« Ne travaillez jamais ») je finis quand même par obtenir un contrat de professionnalisation en 2008 et je deviens Aide-Médico-Psy en 2009, à l’époque je « bossais » auprès d’adultes handicapés « bossant » en CAT/ESAT.

Mais on ne doit pas dire handicapé, la réforme qui est censée mettre la personne au centre de ses préoccupations impose le mot de déficience intellectuelle. Les réformes du médico-social imposent une espèce de langue de bois aux acteurs de ce champ spécifique, mais qui n’est que rarement suivi dans la réalité. « Charte de la personne accueillie », « La bientraitance », « Charte des droits de la personne hospitalisée » etc. Je commence, après un séjour aux urgences psy (ils avaient des « lits » à l’époque) liées à une cuite avec black-out, à être suivi par un centre d’accompagnement ambulatoire pour mon addiction, et à voir quelques mois un psychiatre qui a pas mal d’humour et en quelques phrases me fait pas mal avancer. Je me souviens de trois phrases : « Vous êtes marrant, vous me faites penser à un surfeur sans surf » ; « Vous savez, on peut très bien faire sa psychanalyse dans les bars » » ; « Vos parents étaient au ministère de la défense, et vous au ministère de la défonce » ;« Vous pouvez passer à autre chose, maintenant. » Magie des mots, performativité, je n’en sais rien, en tous cas ça marche mieux qu’avec tous les psys silencieux que j’avais été voir et dont je ressortais flippé et angoissé.

Mes « handicapés », je les emmenais faire du ping-pong ou voir des matchs de foot, je les emmenais faire leurs courses, à la pêche, selon leurs envies, selon leurs possibilités. J’aimais bien ce « boulot » ; à côté d’eux, je me sentais le devoir de les défendre contre une société hyper normalisée et jugeante, stigmatisante et obsédée par le travail et le conformisme. Stigmates, de Goffman, ce bouquin aussi m’avait aussi aidé à aiguiser mon regard sur le monde social. La Distinction, de Bourdieu, un des bouquins de Laing et Cooper, surtout Soi et les Autres, avant que ce dernier prenne un peu trop de LSD, et surtout le film de Ken Loach, Family Life, et puis toujours Guattari, même si je ne le comprenais pas trop, m’avait justement ôté l’idée de tout comprendre, de m’approprier les morceaux de pensée qui me semblaient intéressantes, de ne plus penser par auteurs, livres, signifiants, mais par morceaux, tissage, reprise disait Oury. Et toujours cette résonance des mots de Deligny, (Ce Gamin-là) qui venait hurler ce que les muets et exclus de notre socialité ne pouvaient dire : l’animal parlant ne voit plus rien, alors j’ouvre les yeux et je regarde ce que les gens autour de moi font, leur capacité d’agir, les cartes que cela dessine, les affects qu’ils peuvent avoir, et là je n’ai plus devant moi ce pseudo-monde commun, non, j’ai toute une ménagerie d’animaux très différents, et je sais être plus proche du réel que dans les limites de la langue maternelle dont les gens font leur pays. Ey j’apprend à éviter certains animaux.

C’est peut-être pour ça que je ne me sens pas très épanoui avec mes collègues qui pour la plupart travaillent depuis très longtemps dans la même institution et passent leur temps à se quereller pour trois fourchettes et à insister sur le travail comme moyen d’émancipation pour ces personnes. Ou qui respectent, à la lettre, la recommandation ministérielle du vouvoiement comme marque de respect. Je me dis que si trier des boulons en sous-traitance pour une boîte locale et pour très peu d’argent est émancipateur pour les stigmatisés, tant mieux, tant mieux pour ceux qui y croient (leurs parents qui ont travaillé toute leur vie, où eux qui veulent se sentir « comme nous »), mais moi, je n’y crois pas, alors j’ai envie d’aller voir ailleurs. Normaliser, surveiller, contrôler, voilà notre seul rôle ? Une fois diplômé, heureusement, mon employeur ne m’embauche pas en C.D.I., puisqu’il est plus économique pour lui de prendre d’autres personnes non qualifiées et de les former. Tant mieux. Je commençais cela dit à m’ennuyer grave.

J’avais tout de même demandé un stage à La Borde, mais le stage officiel pour mon diplôme devant être fait avant une certaine date, je me retrouve là-bas après un autre stage, sans statut « réel ». Excellente manière d’arriver à La Borde ? Puisque si j’ai bien compris ça fonctionne un peu différemment des institutions « ordinaires », et que tout le monde passe par toutes les tâches, (le fameux SAM, Service Accueil Ménage). Censé rester quinze jours je reste plus de deux mois, et au bout d’un moment je ne sais plus trop « ce que je fous là ». Je me lie plus ou moins d’amitié avec certains patients, soignants, mais je suis fatigué par les discussions sans fin sur le signifiant dans le local stagiaire (pour la plupart des étudiants en psycho), et par les séminaires d’un soignant qui fait passer le « Szondi » aux plus motivés, et à côté duquel la rhétorique lacanienne est du français d’école élémentaire. Je ressens ce que j’avais ressenti dans le monde universitaire, où il faut se battre longtemps pour faire sa petite place, j’ai aussi parfois l’impression d’être dans une clinique « de luxe », même si elle est assez sale, au vu du niveau intellectuel et de l’origine socio-culturelle de pas mal de patients. Pour me calmer je fais un peu de tennis avec un patient qui passe ses soirées à tenter de reproduire le service de Boris Becker. Je me rends aux réunions du matin et je ne comprends pas pourquoi il faut une heure et demie avant de décider d’emmener trois patients à la piscine. Je suis trop borderline pour bosser dans une institution classique, mais je suis peut-être trop pragmatique pour la psychanalyse… je suis quand même hyper ému de pouvoir aller consulter les manuscrits de Guattari qui commençait dans les années 60 à théoriser quelque chose qui mettait en lien l’aliénation sociale et l’aliénation mentale, à la suite de Tosquelles et d’Oury. Ce jour-là, dans la bibliothèque, un patient me voit en train de feuilleter l’Anti Œdipe, qui apparemment passe son temps dans le plus haut bureau de cette bibliothèque, m’invective en me hurlant dessus que l’anarchie est dangereuse, et que si on arrêtait de mettre des flics partout une grande guerre civile éclaterait parce que les gens ne sont pas éduqués et qu’ils font des choses atroces. Grande angoisse, grand moment. Après cela je le surnommais le Maître du Haut Château, et je l’évitais soigneusement ; de magnifiques moments aussi avec Jeff (patient, soignant ?) avec qui nous discutons d’addiction, de liberté, de musique et de plein d’autres choses…Une sensation d’étouffement quand le groupe est omniprésent ; heureusement j’ai une bagnole et je pars de temps en temps sur une petite route forestière pour être un peu seul au milieu des champs.

Le retour à la maison n’est pas évident. Je quitte la ville ou j’ai fait ma formation pour Nantes, plus grande ville, plus de possibilité de boulot, et j’ai envie de découvrir d’autres publics, de faire d’autres expériences. Ça commence par une fonction d’accompagnateur en M.E.C.S. où je suis le seul A.M.P. et où les éducateurs spécialisés me mènent la vie dure. Mon statut devrait-il me condamner à nettoyer les chambres, à faire la bouffe pendant qu’ils décident de ce qui est bon pour le « projet personnalisé » de ces jeunes ? Là-dedans, ça déconne à plein tubes, entre des éducs type militaire qui fonctionnent à coup de sanction (un gros mot = 15 minutes dans ta chambre) et des éducs épuisés qui rêvent de partir. A la fin de mon CDD, le chef de service qui m’avait promis un autre poste me propose un temps partiel de nuit dans une autre structure à 60 kilomètres de là, et je jette l’éponge.

Et c’et là que j’ai l’idée désastreuse de m’inscrire comme intérimaire dans une agence d’intérim spécialisée dans le médicosocial. Contrats très courts, horaires coupés, et surtout intervention dans les endroits où ça ne va pas très bien, puisque si on fait appel à des intérimaires c’est en général parce que dans les structures d’accueil le personnel est très souvent en arrêt maladie ; je me retrouve une fois seul un dimanche, après la transmission du collègue de nuit, avec une quarantaine de personnes âgées à m’occuper, dont je ne connais ni le nom ni les habitudes, et j’ai un retour de la boîte d’intérim la semaine suivante qui me dit que le personnel s’est plaint de la médiocre qualité de mon travail (l’intérimaire comme bouc émissaire des dysfonctionnements institutionnels ?) Je teste aussi une maison de retraite de luxe qui me trouve efficace, et ça se passe un peu mieux. Je trouve drôle d’être pris pour un laquais par certaines personnes âgées issue de la vieille bourgeoisie nantaise, mais trop c’est trop : comment peut-on s’occuper décemment de personnes quand on a une quinzaine de toilettes à faire chaque matin ? Tout cela finit par une fin de matinée, où après m’être occupé de tous les pensionnaires je ferme un œil à 12H15 devant le téléviseur à côté d’eux : une infirmière rentre et court prévenir le directeur ; il me convoque 30 minutes après et me dit que je mets en danger les personnes, et que notre collaboration s’arrête là.

J’arrête l’intérim, et je trouve après une période d’oisiveté plus ou moins créatrice (musique, musique, musique) je trouve « en traversant la rue » un poste de nuit dans une autre association : cette fois il s’agit d’accueillir des sans abris dans le centre de la ville. Le boulot est super difficile (19H30 -7H30) trois nuits de suite avec deux jours de repos consécutifs, payé au SMIC) avec un public touchant, comme plein d’humains peuvent être touchants mais aussi avec son lot de cons et de violence. Je me retrouve après un peu moins d’un an totalement déconnecté de toute vie sociale, je suis déclaré inapte au travail de nuit par la médecine du travail et commence une négociation compliquée avec l’employeur pour négocier un droit au chômage après ma période travaillée. En C.D.I., sachant que j’ai tenu le temps moyen des salariés sur le même poste, je ne comprends pas qu’on puisse pratiquer un tel management dans une association à visée sociale ; ce lieu est aussi un super moyen de concentrer tous les sans abris de la ville qui sinon dérangeraient les honnêtes bourgeois du centre-ville, parrainé lors de sa création, je l’ai appris ensuite, par une certaine… Christine Boutin. Trier et cacher les SDF du centre-ville aseptisé, voilà ce que nous faisions, et je pars, écœuré et soulagé, de cet enfer. Les personnes qui m’ont le plus appris là-bas sont des SDF hyper cultivés – et oui, ça sert de passer ses journées à la bibliothèque l’hiver, on peut apprendre plein de choses, et d’autres moins cultivés, et je suis surtout marqué par le respect que les sans-papiers nous montrent généralement, contrairement à de petits « français » qui font le tour de France des centres d’accueil, en se plaignant de la mauvaise qualité de la soupe qui leur est servie.

Il est temps pour moi de faire autre chose, et c’est ce que je fais pendant quatre ans dans un autre pays, ou même si je n’ai pas d’expérience professionnelle très épanouissante je considère comme moins déconnant de subir le management du capitalisme actuel dans des boîtes où on s’occupe de marchandises et non pas de personnes.

Puis vient le retour en France, très compliqué pour moi, et c’est là que je pars en vrille, enchainant quinze jours de grosses cuites mêlées à tout ce que je pouvais me faire prescrire comme médicaments ; de retour dans ma famille, je formule vite mon besoin d’être hospitalisé. Je me retrouve aux urgences, on me prescrit des médocs, je sors, je rebois et reprend des médocs, je revois le psychiatre, qui me dit qu’il n’a pas de lit pour moi, mais au bout d’une semaine il me propose de m’hospitaliser sous contrainte pour que je puisse avoir ce fameux lit ; je signe sans hésiter, pour pouvoir me poser sans ma famille et dans ma tête, un soulagement énorme prend place petit à petit.

Je passe d’abord 48 heures dans un pavillon fermé, qui porte le nom d’une île, comme dans un aquarium où j’avais travaillé, dont les patients tentent de s’enfuir tous les deux jours, où les infirmiers ne sont pas des infirmiers mais de simples surveillants distributeurs de cachetons, mais après deux entretiens avec une psychiatre, ils voient que je ne suis pas dans un discours onirique érotomane mégalomaniaque, ni dans un délire de persécution avancé, que j’arrive à raconter de manière « claire et distincte » ce que je fous là et ils me mettent en pavillon « ouvert », avec pas mal de gens qui ne vont pas très bien. Un soir, on fume une clope sur le balcon et l’un des patients me confie que s’il sort, il va se pendre. J’apprendrais deux mois plus tard que c’est ce qu’il a fait. Je trouve très vite et avec chance une place dans un centre de post cure type PNL, avec un bon bourrage de crâne sur les méfaits de l’alcool fait par un intervenant qui arrondit ses fins de mois, mais l’équipe soignante qui fait tout ça y croit, fait tout son possible pour ceux qui viennent là, et je ne regarde plus aux référence théoriques mais au lien réel qui se forme entre les personnes ; en tous cas j’en ai l’impression, et cette parenthèse me permet enfin de retrouver une petite forme de solidité.

Depuis j’ai commencé une formation dans un domaine manuel et je me sens totalement libéré de pas mal de boulets que je trainais à chacun de mes pas, et pour revenir sur le sujet qui nous préoccupe, à savoir l’institution psychiatrique, j’ai toujours croisé des gens dignes et d’autres non dans le personnel qui y bossait, mais les témoignages des soignants lors de mon hospitalisation récente m’ont fait ressentir le besoin de relayer leur parole. Peut on écouter la souffrance des autres quand on est pressé comme un citron ? Et qu’est ce qu’une ministre microcéphalienne dont le mari est en situation de conflit d’intérêt avec les laboratoires peut avancer comme argument quand sa seule politique est la réduction de moyens et la mise en concurrence des services publics entre eux, comme on met en concurrence les universités ? J’ai fais ma part dans ce secteur du « monde du travail », et je pars vers d’autres horizons, mais j’aurais toujours plus de respect pour ceux qui bossent au bas de l’échelon, parce que je pense que ce sont eux qui sont le plus en contact avec la souffrance des personnes, et que les éléments théoriques de la psychiatrie, le cul entre la chaise de la spéculation psychanalytique et la chaise des neurosciences comportementalistes, n’est pas un enjeu pour les personnes en souffrance ; qu’on soit qualifié de maniaco-dépressif ou de bipolaire change quoi ? Ce qui compte c’est d’organiser des collectifs soignants où les statuts sont gommés dans le travail commun : et le travail commun, c’est de tisser quelque chose autour des gens « psychiatrisés » pour que quelque chose accroche et les fasse respirer un peu. Je suis optimiste ce matin, alors que j’ai encore dans mes oreilles les discussions de mes collègues lors des pauses qui ne parlent que de leur retraite ou de leurs problèmes de maison ou de bagnole.

Oui c’est peut-être utopique ; comme me le disait le seul dentiste que j’ai rencontré qui n’aimait pas les dentistes, c’est à dire leur univers socio-culturel, golf et week-ends à Arcachon, entre soi et nullité culturelle, « j’aurais peut-être dû choisir un autre boulot, mais qu’est ce que tu veux, j’aime bien soigner les dents des gens ». J’ai entendu l’autre jour : « même les médecins gueulent » ; si de l’A.S.H. au chef de service on se met à gueuler ensemble, il se passera forcément quelque chose qui fera barrière aux réformes en cours ; quant à moi je retourne une fois par moi au café de l’hôpital psy de mon secteur, et je me sens bien quand je passe une heure à lire le journal local et à parler avec les gens qui sont là.

F.

Cimetière du Père-Lachaise, tombe de Félix Guattari

De l’autre côté du miroir…

De l’autre côté du miroir…

Introduction

J’ai aujourd’hui 38 ans, je suis professeure des écoles et titulaire d’une classe en Réseau d’Education Prioritaire (anciennement ZEP). A la fin de l’hiver 2017/18, alors que je venais de m’installer dans une jolie maison de banlieue avec mon ami et ses enfants, j’ai connu une dépression que j’avais pensé soigner en me faisant hospitaliser comme cela avait été le cas trois ans plus tôt dans le cadre d’un épuisement professionnel. Hélas, en me faisant hospitaliser, j’ai mis le pied dans un engrenage dont je tente d’expliquer les mécanismes en quelques points. Ce parcours chaotique m’a amenée à séjourner dans trois établissements différents, un public, un privé associatif et un privé lucratif, donc un « panel » assez représentatif de la diversité des lieux de soin. Si mon expérience n’est pas spectaculaire car je ne suis pas très « malade » et bien « insérée » socialement, elle montre que tout le monde peut un jour être touché par des troubles psychiques et la manière dont ils sont considérés, traités et parfois soignés dans notre société aujourd’hui. Il montre que personne n’est à l’abri de l’isolement et de l’invalidité psychique. Ce témoignage se veut également positif, ou du moins il ne se veut pas manichéen, puisque j’ai pu m’appuyer, entre autres, sur deux structures hospitalières pour me rétablir. J’espère que ce texte sera utile, qu’il suscitera de l’empathie et qu’il réveillera un esprit critique chez toutes les personnes concernées ou non par le soin psychiatrique.

Le manque de médiation thérapeutique

Lors de mon séjour d’une semaine à la clinique ND, j’ai constaté un manque considérable d’activités de médiation. On m’a proposé un atelier de sophrologie hebdomadaire auquel devait s’ajouter un entretien hebdomadaire avec une psychologue si je restais. Si bien que je me suis sentie totalement livrée à mes angoisses. Lorsque j’en ai fait part à la psychiatre chef du service, elle m’a renvoyé le problème en me demandant de « me ritualiser comme le faisaient les autres patientes. » J’entendais pourtant les « autres patientes » se lamenter. Elle a également qualifié cette incapacité à se ritualiser comme de la dispersion et m’a fait part de sa décision de m’administrer un neuroleptique, le Xeroquel.

Ce manque de médiation thérapeutique est criant également à l’hôpital V où j’ai effectué deux séjours ce printemps et où le seul professionnel proposant un atelier dans le service (une fois tous les 15 jours) était une art-thérapeute stagiaire.

Quant à la clinique L, si la thérapie par des médiations artistiques, corporelles et la parole est affichée comme un point fort des soins, l’écart est important entre les médiations annoncées et celles réellement disponibles. En effet, le nombre de patients accueillis est trop important au regard du nombre d’intervenants.

Questions : Est-ce une solution de pallier le manque de médiation thérapeutique par l’administration de neuroleptique puissant avec les effets secondaires que cela comporte pour le patient ? Comment peut-on traiter la dépression par l’ennui et l’absence de lien entre patients et entre patients et soignants ?

Le manque de disponibilité du personnel infirmier et médical

Dans les trois structures où j’ai été prise en charge, j’ai constaté un manque de disponibilité du personnel soignant. Je voyais les infirmiers seulement au moment de la prise de médicament, de la surveillance des repas (hôpital V et clinique ND), et lors de quelques entretiens que l’on voulait bien m’accorder. Régulièrement ces entretiens étaient différés et souvent une fois différés, n’aboutissaient pas. J’ai très souvent eu l’impression de déranger une équipe consacrée à des tâches informatiques. De plus les entretiens obtenus restaient superficiels et parfois maladroits, me renvoyant à ma solitude. Pourtant trois ans auparavant, à la clinique ND, travaillait une infirmière qui avait bénéficié de la formation spécialisée en psychiatrie et avec qui j’avais pu avoir de longs et réguliers échanges sur l’élément déclencheur de ma crise. Chacun de ces entretiens avait concourru à remettre du sens sur ce qui m’arrivait.

Question : Alors que l’on sait que la parole et la relation humaine sont les plus efficaces pour reconstruire le psychisme, pourquoi le personnel soignant est-il si peu disponible et formé ?

Je souhaite également alerter sur le manque de disponibilité des médecins psychiatres.

A la clinique L., c’est avec un ordinateur posé sur une table montée sur roulettes que les médecins circulent pour consulter leur patient de chambre en chambre à raison de 5 à 10 minutes par jour. Bientôt seront-ils eux aussi sur roulettes, comme dans les supermarchés d’autrefois ? Ou peut-être pourrons-nous les voir en visioconférence, comme c’était déjà le cas d ‘un cycle de conférences à distance sur les Thérapies Cognitives et Comportementales diffusé dans le salon de la clinique ?

A l’hôpital V je n’étais jamais informée du moment de l’entretien, si bien que je devais attendre dans ma chambre parfois une demi-journée dans l’espoir de voir le médecin. Cette incertitude était nécessairement génératrice d’angoisse, pour moi, comme pour l’ensemble des patients du service, faisant ainsi monter la pression dans le service. Cette attente contribuait également à me maintenir dans un état de passivité voire de soumission, ce qui est contraire à l’idée de patient acteur de son projet de soin promue par les politiques publiques.

Question : Pourquoi un tel écart entre la réalité des soins et le discours des pouvoirs publics ?

La « gestion » du risque suicidaire

Lors de mon séjour à la clinique ND, j’avais fait part à plusieurs reprises à l’équipe infirmière de mes idées suicidaires car je me sentais angoissée partout, y compris dans ce lieu, voire plus. Néanmoins, la psychiatre m’a accordé une permission 48 h après. J’ai profité de cette permission pour transformer ces idées en gestes au cours desquels je ne me suis pas mise en danger (la nuance est importante entre un geste et une tentative râtée). Comme je ne me suis pas présentée dans les temps à la clinique, la psychiatre a décidé le lendemain d’arrêter les soins et m’a recommandé de me présenter à l’hôpital V accompagnée d’un parent. Je me suis donc retrouvée au pavillon des urgences de l’hôpital V. Le délai d’attente étant important, mon accompagnateur a dû regagner son travail avant que je ne sois admise. Je me suis donc retrouvée seule au pavillon avec la possibilité de quitter le lieu à tout moment et de mettre à nouveau en oeuvre un geste suicidaire.

Question : La psychiatre connaissait très bien les conditions d’accueil de l’hôpital où elle m’envoyait. Sa décision était-elle donc motivée par une volonté de me protéger ou de se protéger elle et l’institution de laquelle elle dépendait ?

J’ai ensuite été admise dans un service de l’hôpital V duquel j’ai fugué une semaine après sans avoir commis de geste suicidaire et dans lequel je suis revenue de mon propre chef. Suite à cette fugue, le psychiatre qui me suivait a demandé à mon conjoint de participer à la mise en place d’une hospitalisation sous contrainte. Cette hospitalisation était-elle justifiée ? En effet, je n’avais pas eu de geste suicidaire, étais revenue volontairement à l’hôpital et reconnaissais que j’avais besoin de soins. C’était d’ailleurs toute la complexité de la situation : je savais que mon état nécessitait des soins de manière urgente mais je constatais que je n’étais pas dans le lieu qui pouvait les prodiguer, tout en ne sachant pas où aller. Cette situation m’enfonçait dans ma dépression.

Mon conjoint a néanmoins accepté une HDT (Hospitalisation à la Demande d’un Tiers) et donc été convoqué pour la signature sans que j’en sois informée. Après avoir signé dans le bureau du psychiatre, c’est lui qui a pris l’initiative de venir me voir pour m’en informer.

Cette manière de procéder m’a dépossédée de mon pouvoir d’agir, contribué à altérer la relation avec mon conjoint et renforcé le caractère grave et angoissant de la situation.

Question : Le fait de demander à mon conjoint de signer une HDT, impliquant un risque fort d’atteinte à notre relation, était-il justifié ?

En dépossédant de son pouvoir d’agir un patient atteint de dépression, la dépression n’est-elle pas renforcée ?

Le diagnostic

A mon arrivée à l’hôpital V, j’ai été suivie par le même psychiatre qui m’avait rencontrée 3 ans plus tôt dans une unité de courte durée (6 jours maximum de séjour). A l’époque, après deux entretiens, il m’avait diagnostiquée bipolaire de type 1 avec état mixte (c’est-à-dire une psychose), diagnostic qu’il a repris immédiatement à mon entrée dans son service, déclenchant un protocole médicamenteux. Alors que le médecin qui me suit depuis 10 ans et avec qui j’ai noué une relation de confiance, l’avait sans aucune hésitation infirmé 3 ans auparavant, je me suis soumise à ce diagnostic qui apparaissait au sein de l’hôpital comme une évidence indiscutable. Et sur le moment, cela me rassurait et rassurait une partie de mon entourage dont mon conjoint. Je n’avais pas encore saisi que le conflit entre mon médecin libéral et le médecin de l’hôpital dépassait très largement mon cas. D’un côté une équipe médicale et soignante m’assurait que j’étais porteuse d’une pathologie neurologique qui avait trouvé à s’exprimer au cours des situations problématiques de ma vie et de l’autre un médecin qui considérait ma souffrance comme liée à des des névroses dont il fallait m’aider à me libérer. D’un côté on pensait que ça n’était pas nécessaire voire nocif que j’aille explorer mon histoire, de l’autre on m’accompagnait dans la compréhension de mon fonctionnement, de mon histoire et de mon environnement pour mieux me protéger.

Question : Comment un médecin peut-il s’autoriser en deux entretiens à remettre en question 10 ans d’entretiens thérapeutiques ?

Comment peut-il s’autoriser à faire basculer une personne d’un épisode anxio-dépressif à une maladie chronique d’une manière si indubitable ?

Comment les pouvoirs publics peuvent-ils soutenir ces pratiques stigmatisantes et préconiser dans le même temps la lutte contre la stigmatisation ?

Le traitement

Le diagnostic de bipolarité a eu pour conséquence l’administration d’un deuxième neuroleptique, l’abilify. Deux jours après ma sortie de l’hôpital V, j’ai développé des effets extra-pyramidaux dont je n’avais pas été informée des risques. Je n’avais d’ailleurs été informée d’aucun des effets secondaires potentiels. J’ai donc subi un syndrome parkinsonien réduisant considérablement mes capacités physiques et mentales.

Afin de rendre compte de l’ampleur des effets, je vais les détailler. J’étais voûtée, je marchais lentement, à petits pas, incapable de me servir de mes mains tremblantes, mes muscles raidis ne me permettaient pas de m’endormir sans une prise associée d’une forte dose de somnifère et de neuroleptique. Quant à mes capacités intellectuelles, elles étaient considérablement ralenties. Je m’exprimais très lentement, avec beaucoup d’hésitation et ma pensée elle-même était très limitée. Pour autant, j’étais complètement lucide de cette « déchéance ». Heureusement, le médicament avait également pour effet de m’enlever toute émotion et sensation, je ne ressentais ni tristesse, ni joie, ni peur, ni sommeil, ni faim. Ce qui ne m’empêchait pas de voir l’avenir en noir. Comment imaginer vivre dans cet état alors que le fait même de me montrer dans la rue était humiliant ?

Le manque de préparation à la sortie

Si le psychiatre qui me suivait à l’hôpital V avait pris le soin de faire une demande d’admission au Centre Lyonnais de Psychatrie Ambulatoire, c’est moi qui ai dû suivre personnellement la prise en charge de mon dossier.

Ni lui, ni l’équipe infirmière, ni le secrétariat n’étaient disponibles pour le faire pendant la fin de mon séjour.

Personne ne s’est inquiété de savoir quelle était ma situation sociale et personnelle à ma sortie de l’hôpital (condition de reprise d’activité professionnelle, situation conjugale, logement). La question de ma reprise d’activité, étant données les responsabilités que j’occupe, et la charge mentale que cela demande méritait pourtant de se poser. Mais finalement je suis soulagée que l’hôpital ne s’en soit pas mêlé, étant donné les diagnostics posés. Qui sait l’orientation qu’aurait pris ma vie professionnelle ?

L’équipe était, par ailleurs, informée que mon conjoint m’avait quittée. Le médecin a nié la réalité en disant que ça n’était pas le moment de se séparer. C’était pourtant bel et bien acté.

Question : Comment peut-on laisser une personne sortir sans préparation sachant que le risque suicidaire est fortement augmenté suite à une hospitalisation psychiatrique ?

En synthèse

En trois mois et demi d’hospitalisation, je suis passée d’un état anxio-dépressif (selon la mention sur mon arrêt de travail) traité par un antidépresseur et un anxiolytique à un état chronique de bipolarité de type 1 avec état mixte traité par 3 puis 2 neuroleptiques (le 3ème neuroleptique ayant été arrêté par le psychiatre de la clinique L), un antidépresseur, un anxiolytique et un somnifère, développant par effet secondaire de l’abilify, un syndrome parkinsonien fortement invalidant.

Question : Comment peut-on qualifier ce parcours de parcours de soin ?

Epilogue

Cette expérience traumatisante marquera durablement ma vie. Néanmoins, après être sortie de l’hôpital, j’ai repris contact avec mes ressources grâce à plusieurs points d’appui dont je développerai les principaux :

J’ai été accueillie, dans les premières semaines qui ont suivi mon hospitalisation, par une amie et sa famille qui m’ont témoigné et exprimé leur attachement inconditionnel dans un cadre affectueux, bienveillant et sécurisant.

J’ai été admise au Centre Lyonnais de Psychiatrie Ambulatoire où enfin on a pris soin de moi. Le médecin y prescrit des ateliers et non des médicaments. Celui qui officiait à mon entrée a tout de suite relativisé le diagnostic en m’expliquant qu’un diagnostic était très subjectif. Ce qui lui importait était donc mon état clinique et la manière dont je me sentais. J’ai eu affaire à une personne autant qu’à un médecin. Un médecin qui a immédiatement identifié les effets extra- pyramidaux de l’abilify et agi efficacement pour que ses effets disparaissent. Une personne sensible qui a exprimé son empathie vis-à-vis de mon état, souligné mes ressources, valorisé ma volonté à avancer et surtout qui m’a fait confiance. Rien ne vaut quelqu’un qui fait confiance pour reprendre confiance en soi. Les ateliers qui m’ont été prescris depuis le mois d’août sont tous de très grande qualité. J’y ai rencontré des personnes (soignants et patients) d’une authenticité rare. J’y ai pleuré, j’y ai ri. J’y ai chanté, dansé, respiré, écouté, parlé, réfléchi, découvert des thérapies nouvelles et complémentaires de celles que je pratiquais.

J’ai repris le suivi thérapeutique avec mon médecin psychiatre libéral qui a de nouveau infirmé le diagnostic de bipolarité, arrêté tous les traitements progressivement, et avec lequel je continue un travail centré sur l’analyse de mes névroses et des traumatismes subis à l’hôpital.

J’ai repris mon activité professionnelle rapidement. D’abord en temps partiel thérapeutique et progressivement à plein temps. Le TPT m’a permis de me remettre de mon hospitalisation et de me soigner avec une disponibilité et donc une profondeur inégalée tout en exerçant une activité qui me nourrit affectivement, intellectuellement et à travers laquelle je me sens utile et compétente.

J’ai développé un regard critique sur la psychiatrie et ses dernières évolutions en prenant le temps de me documenter, de rencontrer une association administrée par et pour les usagers, (Humapsy), d’échanger avec des médecins et des soignants, de participer à des évènements organisés par des institutions ou des collectifs informels. Je me suis rendue compte de plusieurs choses :

Les médecins des services hospitaliers sont soumis à une autorité qui impose des protocoles, décide des niveaux et orientations budgétaires (médicament et plateau technique versus personnel soignant), ne protège pas les médecins sur la question du risque suicidaire (peines avec sursis encourues par des médecins suite à des suicides dont ils sont tenus responsables.). Ce contexte influe très fortement sur la relation aux patients, donc la qualité des soins.

Les enjeux financiers en santé mentale sont importants : niveau des dépenses de la sécurité sociale, impact des arrêts maladies sur la compétitivité des entreprises, marché de l’industrie pharmaceutique, marché de la recherche neuroscientifique, marché des équipements neurotechnologiques. Ces enjeux prennent le pas sur l’intérêt de l’individu.

Les neurosciences ont tendance à dominer le champ de la pensée au détriment des sciences humaines et notamment de la psychanalyse. Ainsi la thérapie institutionnelle, fondée à la fin de la seconde guerre mondiale, reste peu diffusée. Elle rend pourtant le patient acteur de ses soins comme le préconise les politiques publiques en santé mentale actuellement.

Nous, les « usagers de la psychiatrie » sommes mal représentés si bien que l’UNAFAM parle à notre place. Or, nous avons parfois besoin de nous émanciper de notre entourage et, plus particulièrement, de notre famille pour aller mieux. Et pour aller plus loin, cela peut arranger notre famille que la cause de notre mal-être soit biologique.

Malgré ce contexte, il existe des lieux, des professionnels et tout un ensemble de personnes engagés, créatifs, intelligents, généreux, sensibles, qui permettent de se relever. J’ai eu la chance d’en rencontrer et je peux dire aujourd’hui que cette crise existentielle a finalement été l’occasion de continuer ma vie de manière plus lucide et authentique.

A., une citoyenne

A Lyon, le 06/04/19