Financer l’abandon, définancer le soin

Loriane Bellahsen, psychiatre, décrypte dans ce texte la réforme en cours du financement de la psychiatrie et ses effets dévastateurs sur les soins. Applicable dès janvier 2021, elle est largement dénoncée. Un coup d’arrêt doit y être porté.

(Ce texte a été publié sur le blog https://www.reformepsychiatrie.org où l’on peut trouver d’autres articles critiques de la réforme afin de promouvoir « une psychiatrie vivante et relationnelle »).

La réforme du financement de la psychiatrie, prévue à partir du 1er janvier 2021, dénoncée par de nombreux professionnels1, équipes2, médecins3, dont une soixantaine de chefs de service4, par de nombreuses familles de patients5, par les directions générales de certains hôpitaux, par des parlementaires6, est étonnamment soutenue au sommet de la pyramide hiérarchique par deux présidents des Fédérations des hôpitaux, par les trois psychiatres présidents des Conférences des présidents de CME, par le président de l’association des directeurs d’hôpitaux, par deux présidents de conférences des directeurs généraux d’hôpitaux7.

De quoi s’agit-il ?

Il s’agit d’abandonner le mode de financement actuel, par « dotation annuelle de financement » – dite aussi « enveloppe globale » – qui consiste à allouer une somme d’argent chaque année à la psychiatrie. Ce mode de financement a l’intérêt d’être inconditionnel, pérenne et sécure. En revanche, la hauteur de la somme allouée suscite depuis longtemps d’âpres critiques de la part des professionnels, patients, familles, directeurs d’hôpitaux, parlementaires car cette « enveloppe » est en réalité insuffisante pour soigner efficacement et dignement tous les patients. Il s’agit notamment de ceux qui nécessitent des soins intensifs, pluridisciplinaires, réguliers ou continus, au long cours. Le sous-financement de la pédopsychiatrie et de la psychiatrie, « grandes oubliées » ou « parentes pauvres » de la médecine, a été décrit à de nombreuses reprises ainsi que ses effets délétères d’abandon d’un très grand nombre d’enfants, adolescents et d’adultes, par défaut de soin8.

Une augmentation de la dotation annuelle de financement est donc, logiquement, attendue par les professionnels et les patients. La réponse du gouvernement n’est pourtant pas celle-là.

La réponse du gouvernement, via l’article 34 de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 20209 votée en octobre 2019, alors qu’Olivier Véran n’était pas encore ministre de la santé, mais bel et bien rapporteur de cette loi, est une modification du mode de financement.

Cette modification du mode de financement prévoit, d’une part, de l’insécuriser et, d’autre part, de répartir autrement l’argent sans l’augmenter. On dit de cette réforme qu’elle s’effectue « à enveloppe fermée ». Si certains services, certaines unités, certains pôles gagneront, d’autres perdront, nécessairement10.

Mais comment déterminer ceux qui méritent de gagner et ceux qui méritent de perdre ?

En se basant sur un modèle, celui de la « Santé Mentale »11. Ceux qui correspondront à ce modèle seront favorisés, ceux qui n’y correspondront pas seront défavorisés.

L’instauration de ce modèle se légitime de la « Mission flash » de l’ex-députée LREM et psychiatre Martine Wonner12 et, depuis bien plus longtemps, des propositions de la Fondation « FondaMental » liée à l’institut Montaigne13. Le modèle de la « Santé mentale » rompt avec une approche centrée sur un enfant, un adolescent ou un adulte qui présente les signes d’une souffrance psychique à mettre en perspective avec le développement de son corps ainsi qu’avec son histoire personnelle, familiale et collective.

Elle prône une approche plus économique en prenant en considération que « la mauvaise santé mentale » coûte cher aux entreprises françaises et européennes (à cause des arrêts de travail longue durée, par exemple), qu’il s’agit d’un « fardeau économique » et qu’il s’agit donc de se situer non plus du point de vue de la personne en souffrance mais du point de vue de la société qui doit réduire à son minimum ce fardeau économique pour que le pays demeure compétitif économiquement.

Dans ce modèle, la psychiatre et la pédopsychiatrie ont un autre rôle à tenir. Il ne s’agit plus à proprement parler de « soigner », il s’agit de repérer le plus tôt possible les éléments de la société susceptibles de poser un problème de mauvaise santé mentale, d’apposer sur eux un diagnostic considéré comme définitif, d’évaluer leurs capacités et leurs déficits, de prescrire des médicaments ou des thérapies de choc, de les « orienter » vers des filières de prestataires de service dans le secteur privé où se crée au passage un marché : de rééducation, d’accompagnement, d’aide à la personne, de coaching, etc.

Il s’agit aussi du modèle « de l’Europe du Nord » (Suède notamment) dans lequel on ne finance plus des institutions mais on verse des allocations aux familles pour payer des prestataires de service privés. Bien évidemment, cela coûte moins cher à l’Etat14.

Le problème de ce modèle est qu’il repose entièrement sur une occultation massive, obstinée et parfois violente : l’occultation du fait que certains enfants, adolescents et adultes sont réellement en souffrance et ont réellement besoin d’être soignés et accompagnés au sein d’institutions qui prodiguent des soins pluridisciplinaires, continus ou réguliers, au long cours, et qu’ils ne peuvent aller mieux autrement.

Bien entendu, quand ce type de soin fonctionne, c’est que ces institutions sont accueillantes et chaleureuses, que les professionnels qui y travaillent sont mus par un intérêt sincère envers les patients qui sont considérés comme des interlocuteurs valables (y compris quand ils n’ont pas de langage verbal), que la bientraitance – la vraie, pas celle qu’on affiche en « charte » sur les murs de certains services hospitaliers – fonde le travail.

Ce n’est pas qu’un idéal, ces institutions existent ; et si, vraiment, l’on doit choisir parce qu’il est impossible d’augmenter la somme d’argent attribuée à la psychiatrie dans sa globalité, ne sont-ce pas celles-là qu’il faudrait favoriser financièrement ?

Non, ce n’est pas le choix de nos derniers gouvernements successifs. L’option prise est plutôt de se faire le relais – directement dans les discours de femmes et d’hommes politiques, indirectement à longueur d’émissions de service public – des discours calomnieux sur les institutions pédopsychiatriques et psychiatriques dans leur ensemble, et de prôner un discours d’illusion selon lequel tout enfant, tout adolescent et tout adulte pourrait, dans la période actuelle, trouver sa place harmonieusement à l’école ordinaire et dans le travail ordinaire, à condition que tout le monde soit plus tolérant et qu’il y ait des dispositifs compensatoires. Mais le monde ordinaire et le monde protégé sont-ils obligés d’être présentés comme opposés ? Doit-on vraiment rendre impossible la circulation de l’un à l’autre ? Et puis concrètement, dans la réalité, les moyens sont-ils mis en œuvre réellement dans l’école ordinaire et dans le travail ordinaire pour que ce vœu pieux devienne réalité ? Il est permis d’en douter face aux problématiques majeures que doivent affronter ces deux institutions : le phénomène massif des élèves « décrocheurs » pour l’Education Nationale, la souffrance au travail.

Peu importe ces considérations gênantes, le modèle de la Santé mentale impose une réduction à peau de chagrin des institutions pédopsychiatriques et psychiatriques : il s’agit pour les services adultes, d’hospitaliser le moins longtemps possible avec le moins de moyens possible15 et de favoriser les « centres experts »16 dont l’approche est exclusivement neuroscientifique17 ; pour les services enfants et adolescents, d’encourager une mutation en pôles de diagnostic et d’évaluation des compétences et déficits18. Tout cela justifié par des discours managériaux ad hoc19.

Cette fois-ci, le modèle est introduit par le mode de financement. On nous présente donc un financement « par compartiments ».

L’« enveloppe globale » n’est non seulement plus garantie, mais elle est de surcroît découpée en sept ou huit compartiments, contenant chacun des critères à réévaluer chaque année.

Le compartiment le plus important (actuellement 75 à 80 % du futur financement) est appelé « populationnel ». Il s’agit d’évaluer pour chaque territoire l’intensité de l’« offre » médico-sociale et celle libérale. Par exemple, l’ïle-de-France est considérée comme bien dotée en établissements médico-sociaux et en médecins généralistes, pédopsychiatres et psychiatres libéraux. Pourtant, en tant que psychiatre cheffe de service d’un hôpital de jour pour adolescents et jeunes adultes autistes à Paris, je suis souvent confrontée à l’absence d’établissements, de dispositifs et de praticiens libéraux pour les jeunes adultes ayant atteint la limite d’âge théorique de 24 ans. Par ailleurs, en tant que psychiatre installée en libéral une journée par semaine en Seine-Saint-Denis, je suis confrontée à l’absence pure et simple de pédopsychiatre libéraux dans certaines villes. J’observe également l’absence de certains dispositifs, tels les ULIS-TED (classes spécialisées pour les enfants et adolescents autistes, en école ordinaire).

Si l’Île-de-France est bien dotée, alors dans quel état sont les autres régions ?

D’autres critères sont pris en compte, tel que le nombre de « mineurs » – on ne parle plus d’« enfants », terme trop sentimental ? Ironique quand on connaît l’historique du travail des enfants en France, dans les mines de charbon notamment – et tel que le degré de précarité de la population de cette région. L’idée de fond est que la psychiatrie doit intervenir de la façon la plus courte possible dans la vie d’une personne : « pôles d’excellence », « centres experts », hospitalisations d’urgence… Ont vocation à demeurer des interventions courtes et ponctuelles.

Il s’agit, dès que possible, que la personne soit « orientée ». Elle peut l’être vers le médico-social – secteur également en crise car paupérisé20 – : Foyers de vie, centre d’accueil de jour… Si vraiment elle a besoin d’un établissement spécialisé. Autrement, elle doit l’être vers le libéral : cabinets privés de diagnostic, de formation, d’aide à la personne, ou praticiens libéraux divers, car l’on estime que tout peut s’orchestrer à partir du domicile avec souvent les parents devenus « aidants parentaux » comme chefs d’orchestre.

Le financement du compartiment géo-populationnel sera donc bas pour les régions considérées comme bien dotées en offre médico-sociale et libérale, plus élevé dans les régions considérées comme moins dotées. C’est cet élément dit de justice sociale qui permet à certaines personnes qui promeuvent cette loi de se présenter comme redresseuses de tort voire carrément héroïnes de concepts aussi beaux que l’« inclusion », le « rétablissement » et le « virage ambulatoire » : à les écouter, grâce à cette réforme de financement, les derniers seront les premiers à la Table du Seigneur et la société avancera à grands pas vers un monde où l’usager-consommateur choisira librement ce qui lui convient le mieux. Le problème est, qu’en la matière, le Seigneur n’a pas qu’une Table mais au moins trois : les établissements psychiatriques, les cabinets privés et le secteur médico-social, et qu’il aurait fallu mieux financer et rééquilibrer les trois plutôt que de faire croire que l’on peut passer de l’une à l’autre sans difficulté.

Le deuxième compartiment (environ 15% du financement actuellement) se nomme « DFA », Dotation File Active, ou encore « dotation activité ». La file active est le nombre total de patients reçus au moins une fois dans l’année. Le principe est très simple : plus la file active d’un établissement est élevée, plus le financement augmente. Quel type de pratiques favorise ce principe ? Eh bien les pratiques courtes et ponctuelles. D’ailleurs, dans cette dotation activité, il est prévu que les services intra-hospitaliers perdront de l’argent à partir d’une certaine durée de séjour d’un patient : c’est la « dégressivité des tarifs ».

Uniquement à partir des deux compartiments que je viens de décrire, les simulations financières menées dans différents établissements psychiatriques pour évaluer les effets de la réforme ont abouti à la constatation d’une perte financière tellement massive que certains ont d’ores et déjà dû mettre en place des gels de poste de façon prudentielle.

Examinons pourquoi cette dotation file active est tellement problématique. Prenons un hôpital de jour tel que celui dans lequel je travaille : il accueille actuellement 25 adolescents et jeunes adultes autistes âgés de 14 à 30 ans (notre agrément est de 14 à 24 ans mais l’absence de débouché à 24 ans conduit souvent les jeunes adultes à continuer plus longtemps) qui viennent du lundi au vendredi de 9 à 16H avec un modèle horaire et un calendrier quasiment calqué sur celui de l’école.

Notre file active s’élève donc à… 25 patients par an, auxquels s’ajoutent 5 autres pour lesquels nous effectuons un bilan complet dans notre centre de Diagnostic et d’Evaluation. Cette file active est dérisoire, comparativement à un centre expert de CHU (Centre Hospitalo-Universitaire) qui fait toute l’année du diagnostic en trois séances, ou comparativement à des hôpitaux de jours qui pratiquent des programmes courts de remédiation cognitive en trois semaine.

Les patients que nous accueillons ont d’ailleurs, parfois, déjà bénéficié d’un diagnostic en centre expert, voire d’une remédiation cognitive. Certain ont également effectué tout une scolarisation en ULIS ou classe ordinaire, parfois en parallèle de l’hôpital de jour, d’ailleurs. Ils ont aussi souvent bénéficié d’un suivi génétique à la recherche de cause, et d’un accompagnement par différents professionnels à domicile. Et pourtant, cela n’a pas fait disparaître leur besoin d’un accueil par le collectif de professionnels que nous formons, leur besoin d’un soin et d’un accompagnement pluridisciplinaires, réguliers, au long cours.

Alors, pour nous, hôpital de jour, comment augmenter notre file active ? Quelles sont les solutions concrètes et satisfaisantes que nous avons ?

Eh bien… Il n’y en a pas.

Nous pourrions renforcer notre Centre de Diagnostic et d’Evaluation, qui nous permet, comme indiqué plus haut, d’effectuer un bilan auprès de cinq patients extérieurs à l’hôpital de jour par an. Le problème est que le temps passé à l’analyse des données et à la rédaction des résultats, quand on veut faire les choses sérieusement, n’est alors plus consacré au suivi quotidien des patients de l’hôpital de jour. C’est un choix à effectuer, qui en vaut la peine, à condition de maintenir un bon équilibre entre ces deux pratiques : celle du bilan, et celle du suivi au long cours. Hypertrophier la pratique du bilan viendrait hypotrophier celle du soin des patients qui viennent tous les jours, dont l’intensité, la régularité et la continuité sont pourtant cruciales.

Cette solution trouve donc rapidement sa limite.

Nous pourrions décider tout simplement d’augmenter le nombre de patients que nous recevons, à nombre de professionnels égal. Cela revient à « diminuer le taux d’encadrement », c’est-dire le nombre de patients par professionnels. Actuellement, à titre indicatif, nous avons 5,9 éducateurs (car une éducatrice travaille à 90 %) pour 25 patients.

Mais pour que cela soit possible, il faut que nous accueillions le moins possible de patients qui nécessitent un accompagnement plus intensif. En effet, parmi les personnes autistes, certaines, du fait de leur absence d’autonomie, ou du fait de certains de leurs comportements auto ou hétéro-agressifs, nécessitent que l’on soit en nombre suffisant « un pour un », voire par moment « deux pour un », « trois pour un », pour vraiment bien s’occuper d’elles.

Ces personnes sont celles qui sont déjà les plus exclues du monde ordinaire comme du monde protégé. Or, augmenter notre file active est incompatible avec le fait de favoriser leur accueil dans de bonne condition, avec un personnel en nombre suffisant.

Cette solution n’en est donc pas une.

Nous pourrions décider que dorénavant tous les patients doivent être à mi-temps ou à temps partiel pour pouvoir en recevoir plus. Le problème est que la plupart des patients que nous suivons ont réellement besoin d’un plein temps, et que le « saupoudrage » de prises en charge (une demi-journée par-ci, une séance en libéral par-là) a été dénoncé à juste titre par de nombreuses familles.

Cette solution ne fonctionne donc pas, non plus.

Je viens pourtant de vous énoncer les trois solutions qui sont les plus fréquemment évoquées par les établissements pédopsychiatriques et psychiatriques pour augmenter leur activité.

Autre mauvaise surprise, la réforme du financement de la psychiatrie constitue une double peine pour les hôpitaux de jour accueillant des adolescents et jeunes adultes. En effet, en dehors de cette première peine qui est l’introduction du critère « file active », un autre principe tend à réduire drastiquement notre financement : le strict respect du code civil concernant l’âge des patients et la barrière mineur/majeur à 18 ans.

Pour comprendre cela, il faut d’abord savoir que la psychiatrie adulte est beaucoup moins financée que la pédopsychiatrie (qui est déjà, pourtant, largement paupérisée). Son budget est d’un peu moins de la moitié du budget de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Jusqu’ici, les hôpitaux de jours accueillant des patients adolescents bénéficiaient du budget de la pédopsychiatrie, même quand le patient dépassait les 18 ans, âge de sa majorité. Cela reconnaissait implicitement que certains enfants, devenus adolescents, devenus jeunes adultes avaient, encore pour un temps, besoin d’une même intensité de suivi et d’un investissement toujours aussi important.

Avec la réforme, il est prévu que cette reconnaissance disparaisse. Dès qu’un patient atteindra ses 18 ans, le financement de l’établissement pédopsychiatrique baissera de plus de la moitié.

Est-ce que cela entraînera des sorties prématurées de patients, à 18 ans, de leur établissement ? Est-ce que cela entraînera le rajeunissement généralisé de l’accueil des patients dans ce type de structure et, en conséquence, un risque de rupture de soin pour les jeunes adultes ? On peut le craindre, en effet.

Mais la « Task Force » qui rédige les décrets d’application de la Loi ne prévoit pas de compensation financière de cette perte et se contente d’annoncer un « capage », c’est-à-dire un lissage des pertes sur quatre ans…

Pour terminer, évoquons maintenant certains aspects importants concernant les compartiments.

Le compartiment « activité » nous fait entrer dans la tarification à l’activité, T2A, dont les effets délétères sont pourtant dénoncés avec force par les professionnels de la médecine, chirurgie, obstétrique21.

Un compartiment « qualité du codage » accentue l’obligation d’entrer des données dans des outils gestionnaires, ce qui pose la question du détournement du professionnel de sa mission de soin en une mission de transmetteur de données et du devenir de ces données22.

Un compartiment « activité spécifique » favorise quelques unités qui ont la cote auprès des financeurs, telles que les UMD (Unités Malades Difficiles).

Un compartiment « recherche » favorise directement les Centre Hospitalo-Universitaires, seuls gagnants de la réforme.

A qui profite le crime ? aux CHU.

Il faut savoir que certains CHU sont en peine, les internes en psychiatrie ne les choisissent plus. Ils n’ont plus de petites mains pour faire tourner leurs services. Une solution a été trouvée : fermer les postes populaires auprès des internes dans les établissements non hospitalo-universitaires (les plus nombreux) et réformer l’internat pour les obliger à choisir des CHU23. Simple comme l’autoritarisme.

J’ai bientôt 40 ans et pas mal d’années de travail devant moi. Je me dis dans les moments sombres que je verrai peut-être la fin des institutions chaleureuses et accueillantes au sein de la psychiatrie publique. Si cela devait réellement être le cas, elles réapparaitraient ailleurs, sous d’autres formes et selon d’autres modèles, parce qu’on certain nombre d’entre nous ont besoin d’y être soignés et/ou ont besoin d’y travailler, pour que la vie ait un sens.

Ce texte est aussi un appel à tous ceux, personnes en soin, familles, professionnels, citoyens, qui veulent penser la suite autrement. En attendant de s’être trouvés, battons-nous pour le maintien des pratiques vivantes que nous avons su déployer ensemble.

Cette réforme scandaleuse doit être purement et simplement abandonnée.

Loriane Bellahsen, le 08/11/2020.

Paris, 14 juillet 2020Paris, 14 juillet 2020

1 Courrier de Sophie Jacquemont, éducatrice spécialisée, à Emmanuel Macron : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=131 Courrier d’une enseignante spécialisée à Emmanuel Macron : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=129

2 Vidéo du Centre Françoise Grémy : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=98

3 Communiqué du Collectif Inter Hopitaux du 24 Octobre 2020 : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=780

Les troubles du compartiment du gouvernement: après la T2A, voici la T2C-psy, Mathieu Bellahsen, 13/09/2020, Mediapart, https://www.reformepsychiatrie.org/?p=691

Non à la T2A en psychiatrie  Communiqué commun du l’Union Syndicale de la Psychiatrie, de la CGT, de SUD et du collectif Printemps de la psychiatrie, 25/05/2020 : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=323

Courrier de Loriane Bellahsen, psychiatre, chef de service, à Emmanuel Macron : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=37

4 Compartimenter n’est pas soigner Tribune parue dans « le Monde » le 8 Octobre 2020 : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=767

5 Cri d’alarme sur l’abandon annoncé de milliers de prises en charge d’adolescents et jeunes adultes autistes Courrier à olivier Véran du 26/10/2020 : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=783 Courrier de Mme B, mère d’une jeune fille autiste, à Emmanuel Macron : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=42 Courrier Mme P, mère d’un jeune homme autiste, à Emmanuel Macron : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=125 Courrier Mme L, mère d’un jeune homme autiste, à Brigitte Macron : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=127 Courrier Mme V, mère d’un jeune homme autiste, à Emmanuel Macron : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=123 Courrier de Mme C, mère d’une jeune femme autiste, à Emmanuel Macron : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=45

6 Question écrite de Stéphane Peu, député de Seine-Saint-Denis, à M. Olivier Véran, Ministre des Solidarités et de la Santé, le 12 Mars 2020 : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=70

Psychiatrie, menace sur la qualité des soins, Question de Clémentine Autain, députée de Seine-Saint-Denis, à Olivier Véran, le 29 Juin 2020 : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=624

7 Courrier commun aux conférences de PCME et de directeurs, à l’ADESM, à la FEHAP et à la FHF du 03 Novembre 2020 : https://www.fehap.fr/upload/docs/application/pdf/2020-11/20-courrier_commun_-_financement_de_la_psychiatrie_2020_v3.pdf

8 Débat CRCE : Situation de la pédopsychiatrie en France, Intervention de Mme Laurence Cohen, Sénatrice du Val-de-Marne, Vice-Présidente de la Commission Affaires SocialesMembre du Groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Ecologiste : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=68

9 Article 34 de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2020, portant réforme du financement de la psychiatrie : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=372

10 La réforme du financement est désormais imminente mais garde des zones d’ombre, Hospimédia, Caroline Cordier, le 19/10/2020 : https://abonnes.hospimedia.fr/dossiers/20201017-psychiatrie-la-reforme-du-financement-est-desormais-imminente.pdf

11 Mathieu Bellahsen, La santé mentale. Vers un bonheur sous contrôle, Paris, La Fabrique, 2014, 186 p., Préface de Jean Oury

12 Mission flash sur le financement de la psychiatrie – mercredi 6 février 2019 :http://www.adesm.fr/wp-content/uploads/2019/02/Communication-mission-flash-financement-de-la-psychiatrie-finale-modifiée.pdf

13 « Fondamental », la fondation qui veut sauver la psychiatrie en partenariat avec les labos Rachel Knaebel, 15 Octobre 2018 : https://www.bastamag.net/Fondamental-la-fondation-qui-veut-sauver-la-psychiatrie-en-partenariat-avec-les

14 Pour aller plus loin sur ces questions, lire La révolte de la psychiatrie, les ripostes à la catastrophe gestionnaire, Rachel Knaebel et Mathieu Bellahsen, avec la collaboration de Loriane Bellahsen, éd. La Découverte, 2020

15 16 mai 2020 – Une astreinte, du flux, un soldat dans une basse-cour. Geneviève Hénault : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=560

16 L’expertise contre l’expérience, Loriane et Mathieu Bellahsen, Savoir/Agir, N°52, 2 septembre 2020 : http://www.savoir-agir.org/Parution-du-numero-52-de-Savoir.html

17 Le cerveau, le cerveau, vous dis-je ! Laurine Ringenbach, 31 Mai 2020 : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=380

18 Arrêtez de Restreindre le Soin ! Par le Dr BB : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=630

Non à un désastre sanitaire de plus ! Nouveau cahier des charges des CMPP imposé par l’ARS de la Nouvelle Aquitaine , Communiqué officiel de la Fédération Française de Pédopsychiatrie (FFP) du 19 Mai 2020 : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=331

19 Traquer le management par Moïra : https://www.reformepsychiatrie.org

20 Mesures d’accompagnement du secteur médico-social privé non lucratif, question écrite de Stéphane Peu à Olivier Véran, 4 Novembre 2020 : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=789

21 Conférence de presse du CIH, Collectif Inter-Hôpitaux, du 5 Mai 2020, qui décrit les effets de l’épidémie liée au coronavirus sur les services hospitaliers : https://www.youtube.com/channel/UC3EubJ7eBbLxP_nHV6ZWZvg

22 Communiqué du Collectif de la pédopsychiatrie du 19ème en lutte : « Nous sommes en grève des données informatiques », 27 Mai 2020 : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=327

23 Réforme de l’internat: internes en colère : https://www.reformepsychiatrie.org/?p=591

Contention financière et isolement des soins psychiatriques

Texte de Mathieu Bellahsen

Ou la confusion du pouvoir entre les finances et les pratiques… Peut-être aurez-vous entendu parler du Plan de Financement de la Sécurité Sociale 2021 (PLFSS). Il s’agit bien d’une loi de finances. Et qu’y retrouve-t-on ? Un article traitant de la contention et de l’isolement en psychiatrie… Quel rapport avec les finances me direz-vous ?

La psychiatrie peut rendre fou. Et l’une des formes de folie la plus répandue est celle de la confusion généralisée : confusion des registres, des places et des scènes sur lesquelles se discutent, se passent et se font les choses.

Commençons par un diagnostic politique : ce pouvoir est malade. Gravement malade. Il entraîne avec lui tous les lieux et les institutions où il se décline sans filtre. Que ce soit dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les entreprises, dans les administrations ou encore sur les bancs de l’Assemblée Nationale.

Parlons des symptômes conduisant à ce diagnostic.

Premier symptôme : contention financière

Peut-être aurez-vous entendu parler du Plan de Financement de la Sécurité Sociale 2021 (PLFSS). Il s’agit donc d’une loi de finances. Et qu’y retrouve-t-on ? Un article traitant de la contention et de l’isolement en psychiatrie (article 43). Quel rapport avec les finances me direz-vous, si ce n’est l’isolement de la finance dans son déni de la réalité vivante du monde ? Justement, il n’y a pas de rapport.

En juin 2020, les pratiques d’isolement et de contention ont été déclarées inconstitutionnelles car n’étant pas contrôlées par une instance tierce comme le juge des libertés et de la détention (JLD). De là aurait pu émerger un débat profond sur ces pratiques qui se sont accrues d’une façon exponentielle ces dernières années. Comme nous le retraçons dans « la révolte de la psychiatrie » avec Rachel Knaebel et Loriane Bellahsen, il est intéressant de remarquer que les soignants interviewés ne peuvent pas dater précisément quand l’isolement et la contention se sont de nouveau imposés en psychiatrie.

Leur recrudescence s’est faite d’une manière insidieuse, progressive et profonde. « Dans le silence des pratiques honteuses » écrivions-nous. Mais plutôt que de se pencher réellement sur ces pratiques dont le retour en force est à la fois liée au sous effectif, au manque de formation des professionnels, au repli sécuritaire de la psychiatrie et à l’évolution disciplinaire de la société dans le « traitement » de ses marges, et bien plutôt que tout cela, nous avons le droit un article dans une loi de finance ! Force est de constater que cette époque refuse de penser les soins psychiques pour mieux imposer des contraintes physiques. Et tant pis s’il est non constitutionnel de passer autre chose que des plans de financement dans une loi de finance… Mais qu’est-ce que ce pouvoir peut encore en avoir à faire de la Constitution ?

Deuxième symptôme : isolement des soins psychiatriques

Nous l’annoncions dans le billet de blog précédent, la T2C (tarification de compartiment), équivalent pour la psychiatrie de la T2A va s’imposer en janvier 2021. Et là, ce sont les finances qui vont imposer certaines pratiques. Plutôt que de penser une tarification qui s’adaptent aux besoins des personnes nécessitant des soins, la T2C va imposer une certaine forme aux soins : ceux de courte durée, évaluant, diagnostiquant et orientant avec l’imposition des normes de rentabilité et de concurrence à tous les étages de la psychiatrie : qu’elle soit publique, associative ou privée. Pour celles et ceux qui auront été évalués, diagnostiqués et orientés, qu’ils se démerdent ensuite pour se faire soigner. Chacun est libre, non ?

Ce deuxième symptôme est en miroir du premier. D’un côté nous avons une question de pratiques dans un cadre de finances ; de l’autre nous avons des finances qui dictent un cadre de pratiques… Peut-être que c’est ça le miracle de « l’inclusion ». Inclure tout dans n’importe quoi et n’importe quoi dans tout. Dans ce cas-là, l’inclusion en plus d’être au service d’une « exclusion de l’intérieur » (Loriane Bellahsen), elle se trouve désormais au service de politiques insensées.

Troisième symptôme

Le ministre de la santé et ses sbires tel que le délégué ministériel à la psychiatrie (et les autres FondaMentalistes) sont réellement à côté de la plaque. Ils préfèrent se focaliser sur la tarification plutôt que sur les pratiques concrètes d’entraves : entrave gestionnaire, entrave sécuritaire, entrave de l’imaginaire. Nous ne reviendrons pas sur la logorrhée des mots vides de sens concernant la santé mentale dont ils nous abreuvent en permanence en se pensant vraiment intelligents. Mais le vide, ça fait tourner la tête, ce qui pourrait expliquer pourquoi le ministre de la santé va jusqu’à oublier de mentionner la réforme de la loi sur la contention et l’isolement dans une allocution dédiée à la psychiatrie

Remèdes

On l’aura compris, la maladie du pouvoir est à un stade avancé et elle métastase le corps social. Pourtant, il doit bien y avoir quelques remèdes…

Composés de différents acteurs, un mouvement de protestation voit le jour contre cette tarification avec des usagers, des familles et des professionnels. Le constat a été porté tout au long de la première vague du Covid, il faut une reprise en main par les citoyens aux côtés des soignants (de tous les soignants) des outils de soin. Il faut soumettre la finance aux besoins de la population et non l’inverse. Ce ne sont pas aux soins d’être soumis aux objectifs financiers.

Il serait également de bon ton que les directions des établissements se soulèvent également si elles tiennent réellement à leur outil de travail. Car le courage n’est pas d’appliquer les directives venues d’en haut mais de les combattre quand elles sont injustes et malfaisantes. Garder sa dignité a un prix.

Les pratiques psychiatriques indignes et les politiques financières indignes de tarification doivent être combattues avec la même vigueur.

En ce qui concerne la contention et l’isolement, des associations demandent purement et simplement l’abolition de la contention. Il faut saluer le courage d’un mot d’ordre clair, radical et sans concession. Aux côtés de l’abolition de l’esclavage, de l’abolition de la peine de mort, ça aurait de la gueule l’abolition de la contention.

Et comme nous le rappelle Jérome Cornier (qui est cadre infirmier à l’hôpital public) dans une lettre ouverte, à nous de nous saisir de ce moment opportun pour mettre en question ce devenir indésirable de la psychiatrie : un gardiennage disciplinaire articulé à un abandon relationnel sous prétexte de virage numérique et ambulatoire.

Rappelons-nous de ce slogan surgi lors d’une Mad Pride parisienne il y a quelques années : « Pas de contention, de l’imagination ! »

Mathieu Bellahsen, 2 octobre 2020

Les troubles du compartiment du gouvernement : après la T2A, voici la T2C-psy

Vous avez aimé la T2A (tarification de l’activité), vous aimerez sa petite soeur la T2C-psy qui est prévue pour janvier 2021. La réforme du financement de la psychiatrie va donner naissance à ce monstre discret et destructeur.

Ils nous l’avaient juré sur leurs grands dieux, la santé échapperait désormais au principe de la concurrence et de la rentabilité. Des réformes structurelles allaient s’imposer au sortir de la crise COVID… Certains ont cru au Ségur de la Santé. La grande stratégie de communication, toujours la même (grand débat, grenelle, convention citoyenne…), en plus d’accoucher d’une souris a montré le déplorable spectacle de cette démocratie représentative. Où comment certains syndicats professionnels peuvent se coucher pour quelques euros, quelques primes ou quelques avantages catégoriels en criant à la victoire alors que l’argent débloqué est là pour aggraver la situation de catastrophe, tout en divisant les professionnels.

Et les réformes de fond se poursuivent. « Le train des réformes » nous dit-on. Ce « snowpiercer » de l’État néolibéral fonce et carbure à la destructivité de ce qui fait le lien social dans la société : éducation, justice, santé…

En psychiatrie, c’est la mère des réformes qui arrive : celle du financement. Elle doit s’imposer dès janvier 2021. En touchant aux cordons de la bourse ce sont les pratiques, toutes les pratiques dans tous les lieux de soin (public, privé non lucratif) qui vont se transformer pour s’adapter à cette nouvelle donne.

Encore une fois ce cadre de réforme est présenté comme innovant et plus juste. Et encore une fois, comme pour la réforme des retraites, celle de l’assurance chômage, ou les ordonnances de la loi Travail, la future loi est une contre réforme réactionnaire. Elle a pour but de privatiser toujours plus, de faire plus avec moins et surtout de passer sous silence les grands abandonnés du nouveau financement : les patients les plus gravement malades, les plus précaires, ceux qui ont besoin de soins dans la durée.

T2A, T2C même combat

Vous connaissiez la tarification par l’activité (T2A) qui a détruit les services de médecine chirurgie obstétrique (MCO). Cette T2A, conçue notamment par un dénommé Castex et mise en place pour créer une saine concurrence, a eu pour effet de sacrifier les services s’occupant des personnes ayant les pathologies les plus lourdes. Cette T2A que même les gouvernants se sont mis à critiquer en avril 2020… Et bien, en psychiatrie, il est temps de rattraper le retard : faire ce qui va être abandonné ailleurs… Vive la T2C!

Jusque là, les établissements qui faisaient de la psychiatrie et de la pédo-psychiatrie avait une dotation annuelle de financement (DAF) : une enveloppe budgétaire allouée aux établissements pour remplir leurs missions. Cette dotation était stable depuis des années, c’est-à-dire qu’elle n’augmentait pas proportionnellement aux besoins réels. Même histoire que dans le reste de la santé avec cette revendication d’augmenter l’ONDAM (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie) portée par divers collectifs et syndicats.

Et bien que propose le gouvernement avec la bénédiction d’un certain nombre de complices institutionnels ? Que la psychiatrie soit maintenant soumise au principe de la tarification par compartiments ! Autrement dit une T2A psy que nous nous proposons d’appeler T2C pour bien faire comprendre la filiation directe avec sa grande sœur la T2A.

Blanche Neige à la task force

Ces compartiments varient entre six et huit selon les versions de la « Task force » actuellement en charge d’écrire les décrets d’application de cette loi. Et les vers sont d’ores et déjà dans le fruit des compartiments gouvernementaux : fruit bourré de pesticides qui attaquent toute possibilité de soin psychique, fruit dopé aux hormones de la start up nation.

Les vers se nomment « file active » (plus vous voyez de personnes dans l’année mieux c’est, donc mieux vaut voir 1 fois 1000 personnes que 10 fois 100 personnes), « qualité du codage » (vous touchez d’autant plus d’argent que vous remplissez les critères de qualité définis arbitrairement par les tutelles pour contraindre les soins dans un sens court termiste et d’ubérisation, c’est-à-dire d’orientation vers des plateformes plutôt que vers des institutions), « recherche », « activité nouvelle » et j’en passe.

Qu’est-ce qui donne envie de croquer dans ce fruit me direz-vous ? Et bien, l’enrobage « géo-populationnel », vernis sucré de cette réforme qui est là pour lui faire ressembler à une belle pomme d’amour toute rouge et toute brillante. Si la réforme du financement en psychiatrie était la sorcière dans Blanche Neige, le compartiment géo-populationnel serait sa pomme. Et beaucoup croquent dedans car depuis des décennies, certaines régions, certaines villes, certains secteurs ont plus de moyens que d’autres sans que cela ne puisse s’expliquer raisonnablement. Mais dans ce compartiment géo-populationnel, le financement pour le public diminue d’autant qu’il existe une offre privée lucrative et non lucrative sur le territoire.

Et plutôt que de tout rééquilibrer à la hausse puisque « la psychiatrie est le parent pauvre de la médecine », comme on le dit dans les médias, et la pédo-psychiatrie son enfant oublié, eh bien que nenni, tout le monde devra être mis au pas de la nouvelle psychiatrie plateformisée, celle qui se marie si bien avec les réformes néolibérales. Et sans surprise, les grands gagnants sont ceux qui ont un modèle de soin congruent au modèle néolibéral, à savoir les centres hospitalo-universitaires (CHU) qui, en psychiatrie, s’adonnent aux centres experts et à la promotion de telles plateformes privatisées pour la mise en place de soins. Et donc, encore une promotion pour FondaMental et l’institut Montaigne dans ce grand bond en avant qu’est celui de la destruction d’un service public de proximité, accessible, accueillant tout le monde quelque soit son diagnostic, sa sévérité et son niveau de ressources sociales.

Donc ne nous y trompons pas comme un certain nombre d’acteurs qui essayent de négocier à la marge la couleur du fruit plutôt que de le jeter, ce vernis géo-populationnel cache aussi une accélération de la privatisation des soins, c’est-à-dire une privation des soins comme l’explique Loriane Bellahsen dans le chapitre 3 de « la Révolte de la psychiatrie » consacré à ce qui se met en place dans le champ de l’autisme.

Les troubles du compartiment de la psychiatrie industrielle

Après les troubles du comportement de la clique macronienne dans le champ de la santé (et avant elle la hollandaise et la sarkozyste) et au sein de la société, voici les troubles du compartiment de la psychiatrie industrielle. Cette compartimentation du financement provoquera d’autres troubles bien réels pour les citoyens qui ont besoin d’être soignés et accompagnés sur mesure.

Il est plus que jamais l’heure de se positionner clairement sur ce que nous voulons comme projet de société. Celui qui favorise les liens humains, qui est respectueux des spécificités de chaque milieu ou celui qui homogénéise, classe et normalise. Pour ceux qui échappent à la normalisation, il restera l’abandon pur et simple soit à l’extérieur dans la rue et en marge de la société, soit à l’intérieur des dispositifs disciplinaires toujours plus florissants.

A l’heure où des associations jusque-là consensuelles appellent à des actions radicales comme l’abolition de la contention en psychiatrie (comme quoi, tout est possible!), nous devons nous mobiliser contre la T2C et proposer un autre modèle de financement et de société, enjeux des ateliers citoyens du 10 octobre et de la prochaine assemblée générale du printemps de la psychiatrie du 17 octobre.

Mathieu Bellahsen, septembre 2020

publié sur son blog Mediapart

 

Un nouveau blog pour lutter contre la réforme du financement de la psychiatrie

Un blog à découvrir et partager pour que tout le monde comprenne les conséquences de la réforme …

Réforme du financement de la psychiatrie : ne soignez plus, faites du chiffre !

Pour les gouvernements successifs depuis 1995, l’hôpital doit être « géré » comme une clinique privée à but lucratif. Il doit produire des « actes », des « séjours », des « durée moyenne de séjour ». Il ne soigne plus des patients mais des « files actives », nombre total de patients soignés au moins une fois dans l’année. Les diagnostics sont codés et correspondent eux-mêmes à des sommes d’argent. Tous les éléments chiffrés se traduisent dans une somme d’argent. Le « codage », rentrée des données dans l’ordinateur par les soignants, permet d’évaluer la « rentabilité » de celui-ci.

Cette dynamique a entraîné une destruction insensée des services hospitaliers: fermeture de lits, fermetures de structures de proximité, mutualisation ravageuse des moyens. Elle a entraîné une mutation insupportable des métiers du soin: augmentation du temps passé sur l’ordinateur pour des protocoles technocratiques au détriment du temps passé auprès des patients, baisse drastique du nombre de travailleurs du soin, burn out généralisé des travailleurs. Elle a entraîné un tri et une maltraitance des patients, des dérives graves dénoncées tant par les soignants que par les patients.

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