Synthèse
Puisque la formation – transmission était l’objet même de cet atelier, un soin particulier a été réservé à ce que puisse s’inventer un espace favorable à la circulation de la parole, le jour J : un espace où des traces de nos pratiques plurielles puissent se transmettre, en somme. Trois-quatre interventions ont été essaimées sur chaque demi-journée, propos d’une durée maximum de 5 minutes destinés à ouvrir ensuite un temps de trente à quarante minutes fait de débats, de réactions, de discussions à bâtons rompus. S’est produite une sorte d’association libre collective. L’état des lieux initial, constat souvent déprimant voire mélancolisant, a pu tout doucement se transformer en autre chose.
Constat parmi d’autres : il arrive que les formations-déformations soient conceptualisées voire protocolisées pour « boucher les trous », ces « trous dans le savoir » incontournables dans la pratique et qui suscitent de l’angoisse… Pourtant, une « formation » au sens d’une transformation personnelle devrait pouvoir transmettre à celles et ceux qui les suivent les modes par lesquels, a minima, ces trous peuvent être supportés.
Lorsque les trous ne sont pas supportés, alors ce qui vient rassurer, ce sont les convictions, les certitudes, la protocolisation des gestes, le scientisme qui empêche la pensée et la capacité d’apprendre à apprendre, qui ne laisse pas la place au doute.
La question suivante est revenue plusieurs fois, à la manière d’une répétition qui, tant qu’elle n’est pas entendue dans sa fonction, se poursuite, s’alimente : le problème viendrait-il du fait que « la » formation (des éducateurs, des enseignants, des infirmiers, des psychologues, des psychiatres, etc.) n’est plus comme elle a pu être par « le passé » ? S’agirait-il là d’un conflit générationnel, entre « jeunes » et « anciens » ? Ce conflit bien répandu et cristallisé au-delà des Assises, est venu se rejouer et se répéter au sein même de l’atelier. Mais il a aussi commencé ici à se (nous) traiter, voire à s’interpréter, à travers les échanges in situ. (Dé)Former, c’est déconstruire, reconstruire, déconstruire, reconstruire, etc. Oui, les plus ancien·ne·s transmettent. Celles et ceux qui « débarquent » (mais d’où débarquent-ils donc ?), le font aussi. Toutes et tous le font en (se) surprenant.
Il a aussi été question, dans l’atelier, des évolutions de la société. D’une évolution de la société, et des imaginaires, aussi. Comment pouvons-nous former, déformer et reformer nos/des imaginaires, quels imaginaires pourraient encore permettre l’engagement, le faire-en-commun, le doute ?
La question de ce qui permet l’articulation des résistances locales et des actions trans-territoriales s’est aussi posée : pour nous battre ensemble au travers des meetings, des Assises, des rassemblements, des manifestations, des grèves de codages, il faut déjà se sentir solides. Et pour se sentir solides, il est important de ne pas être seul·e·s, d’être à quelques-un·e·s, d’aller chercher les allié·e·s là où ils sont. Il est important d’être tenus ensemble pas uniquement au travers de notre défense face à tout ce qui occupe la place d’un extérieur destructeur ; mais aussi au travers de ce qui nous lie ensemble à travers des pratiques qui se veulent créatrices et inventives. Et ceci à partir des patients, et non de protocoles uniformes.
Nos mondes professionnels ont à répondre à des processus d’individualisation actifs comme à une intensification du travail. Or, sur ce point, il ne s’agit pas d’une simple augmentation quantitative. Cette question quantitative a deux versants : le premier concerne la quantité d’un travail dans lequel on ne trouve pas de sens (cf. fonctions au sein desquelles le travail est essentiellement prescrit). Le second tient à la quantité du travail que nous sommes empêchés de faire. Il apparaît donc indispensable de créer des espaces à l’intérieur des institutions, qui soient des espaces d’élaboration où l’on parle de l’objet du travail réel, pour se déprendre ainsi de la logique imposée par la centration sur le travail prescrit.
Les résistances locales s’exercent notamment via des médias qui favorisent la rencontre et l’accueil : le très important café, loin d’être anecdotique, est l’un d’eux. D’autres espaces font aussi leurs preuves au quotidien : l’art, les associations culturelles, les espaces de délibération qui donnent des idées et de l’énergie pour la « ruse ». La ruse et la pluralité des choix stratégiques, qui rendent ce que nous proposons désirable et intéressant, là où le désir nous paraît être aux abonnés absents dans l’apprentissage et l’application de protocoles. Par exemple, le refus de reprendre certains mots et concepts qui tentent de s’imposer par la novlangue gestionnaire lorsqu’ils semblent dangereux, voire à les subvertir afin de leur accorder un sens propre à notre praxis. Mais pour cela nous devons assumer la responsabilité de reconceptualiser, traduire, reformuler, afin de mettre en valeur ce qui est central dans notre clinique.
Et, le plus important, ces espaces d’élaboration, de délibération et de subversion collectives, sont des espaces avec les patient·e·s. Parce que ce qui est venu et revenu tout au long de l’atelier est bien cela : là où nous nous formons le plus sûrement – et ce pour quoi nous avons à nous battre – c’est à la rencontre de nos patient·e·s, et avec elleux.