Mobilisation du 2 Mai 2021
Bonjour à tous,
Le Dr Hervé Bokobza fondateur du collectif des 39 a souhaité donné la parole aux membres actifs aujourd’hui. Je me présente donc à vous, Selma Benchelah, je suis psychologue clinicienne en psychiatrie adulte à l’hôpital Psychiatrique de Maison Blanche, aujourd’hui rattachée au GHU Psychiatrie et neurosciences de Paris.
Si les 39 ont initié ce rassemblement avec le Printemps de la psychiatrie et l’Appel des Appels, c’est parce que face à ces nouvelles attaques du prendre soin et de ses professionnels, ici principalement les Psychologues, nous avons pensé qu’il fallait absolument réunir nos forces pour lutter ensemble.
Et nous sommes heureux de nous savoir si nombreux ici présents à Montreuil mais aussi sur zoom pour défendre le soin psychologique mais aussi le rôle, le statut et la fonction des psychologues.
En effet, un Arrêté du 10 mars 2021 émanant de deux ministères, des solidarités et de la santé, mais aussi de l’économie des finances ; puis une proposition de projet de loi de constitution d’un ordre des psychologues sont venus nous interpeler à plus d’un titre.
Dans ces nouvelles dispositions, outre la violence de leurs mises en place sans aucune consultation de nos différents syndicats, collectifs, associations et autres instances de représentation des psychologues, nous avons pu, encore une fois constater, qu’étaient mis en cause les quatre grands axes sur lesquels se sont construites les actions du collectif des 39 :
Une conception des maladies mentales :
La folie n’est concevable qu’irréductiblement liée à la condition humaine. Contrairement à la maladie somatique, il existe une modalité particulière de souffrance psychique attachée à certains modes de structuration subjective. Elle ne relève pas d’une causalité linéaire mais d’un déterminisme plurifactoriel marqué du sceau de la complexité.
Or cet Arrêté du 10 mars 2021 repose sur une nouvelle trouvaille, un nouveau diagnostique à tiroir, le TND : troubles neuro-développementaux. Cette nouvelle nomenclature s’appuyant sur une approche biologique et neurologique regroupe, sous un même étiquette, les troubles envahissants du développement, troubles autistiques, les troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité et plus largement les troubles des apprentissages, des comportements et de la communication.
Une certaine conception du soin :
Notre engagement thérapeutique tient d’abord à la considération de la vulnérabilité et de la créativité des patients ; il doit par ailleurs nous conduire à promouvoir tous les lieux nécessaires à une hospitalité pour la folie qui constitue l’enjeu de notre travail : dans l’hospitalisation, comme dans les lieux ambulatoires qui doivent mettre l’accueil au cœur de leur projet. Mais qu’en est-il désormais de la dimension relationnelle, pourtant au cœur de tout processus de prévention et de soins psychiques, quand nous lisons dans cet arrêté du 10 mars que le soin psychique est réduit à des thérapies neuro-psychologique, cognitive, comportementale et psycho-éducative ? Les législateurs entendent donc, non seulement priver la majorité des psychologues d’exercer leur métier auprès des patients dits TND et de leur famille, mais par-delà empêcher les citoyens d’accéder à ces approches thérapeutiques.
La formation :
Nous défendrons un enseignement reposant en particulier sur la psychopathologie, et nécessitant la réintroduction de formations spécifiques désarrimées de la logique, du cadre théorique et des intérêts hospitalo-universitaires actuels autant que de l’emprise des laboratoires pharmaceutiques, et ceci pour tous les professionnels de la psychiatrie. Formations spécifiques d’infirmiers psychiatrique, pour les médecins de l’internat en Psychiatrie et maintien d’une formation universitaire plurielle en psychologie. Or nous voyons qu’ici, dans cet Arrêté, comme dans cette PPL, sur un Ordre des Psychologues, c’est la formationplurielle, nourrie de différentes approches de la psychanalyse, en passant par la psychologie systémique, la psychologie sociale, expérimentale, cognitive, qui est attaquée ou menacée. Et ce, au profit d’une conception biologique et neuro-cognitive du psychisme exclusivement.
Les moyens :
Nous réclamons des moyens au service d’une psychiatrie humaniste, pour que les patients ne soient plus abandonnés à la rue, à la prison, ou remis à leurs familles parfois démunies. Nous réclamons donc des moyens pour des lits d’hospitalisation, des structures d’hébergement, des structures de soins extra hospitaliers, et médicosociales, et du personnel pour que ces lieux soient habités. Alors qu’aujourd’hui on voit se développer des plateformes et centres dit experts. Mais de quelles expertises s’agit-il quand celles-ci se contentent de diagnostiquer et d’orienter vers les structures de soins publics et médicosociaux de plus en plus dépourvus de personnel ? Et donc finalement de plus en plus vers le privé ? De quelle expertise peut-on se prétendre quand on délocalise le soin vers d’autres petites mains, les professionnels que l’on désavoue « en même temps » dans leur savoir-faire pour les réduire à des exécutants de protocoles ?
Des moyens donc, pour des structures et le recrutement de personnels et notamment de psychologues plutôt que de prétendre répondre aux besoins accrus en santé mentale, en distribuant des miettes de prise en charge psychologique comme ces 10 séances de psychothérapie auprès de psychologues libéraux payés au rabais.
Et nous voulons des moyens humains en psychiatrie plutôt que des IRM à tout va ! Je vous invite à regarder les synthèses de la sous-commission « Recherche clinique et innovation », de la commission nationale de la psychiatrie, dont les missions ont été définies par le Président de la République lui-même, dans le cadre de l’organisation des Assises de la psychiatre de cet été. Comme l’a très bien dénoncé l’Union Syndicale de la Psychiatrie (USP), dans son communiqué la « Psychiatrie à visage non humain. » « L’homme est devenu machine comme celle qui va venir photographier son cerveau et en traiter les données. »
Au travers des psychologues, nous dénonçons donc des attaques coordonnées de la conception des maladies mentales, des soins, des formations et des moyens qui sont prétendument attribués.
Dans notre code de déontologie, il est préalablement posé que : « Le respect de la personne dans sa dimension psychique est un droit inaliénable. Sa reconnaissance fonde l’action des psychologues. »
Or, nous observons qu’aujourd’hui, la dimension psychique des patients (citoyens) est réduite à une dimension comptable, cognitive, neurologique et éducative.
C’est le sens de cet Arrêté du 10 mars 2021, en contraignant désormais les psychologues en charge de ses enfants souffrants de TND, de ne s’appuyer que sur les seules thérapies neuropsychologues, cognitives, comportementales et psycho-éducatives. On assiste là à une confiscation des professionnels de leur pouvoir de choisir librement leurs outils. Or, dans le 3ème principe de du code de déontologie, il est écrit : « Outre ses responsabilités civiles et pénales, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Dans le cadre de sa compétence professionnelle, le psychologue décide et répond personnellement du choix et de l’application des méthodes et techniques qu’il conçoit et met en œuvre et des avis qu’il formule. »
Nous y reviendrons plus tard au cours de cet après-midi, concernant les recours légaux que nous pouvons mettre en place. Nous avons déjà consulté une avocate afin d’agir vite car il y a urgence, L’Arrêté du 10 mars a été publié le 4 avril et nous n’avons que deux mois, soit jusqu’au 4 juin pour déposer un recours.
Mais nous ne pouvons être seuls à nous mobiliser, car tous les citoyens sont concernés et plus encore les enfants souffrants de ce qui relèvent des dits TND et leurs familles. Eux aussi, eux plus que quiconque, sont désormais privés des autres approches psychothérapeutiques par cet Arrêté. Et c’est très grave. C’est pourquoi nous appelons tous les parents, les familles, les patients à se rassembler avec nous pour défendre leurs droits; Car ces attaques contre l’indépendance des professionnels sont tout autant une attaque contre leur accès au soin.
Les psychologues sont des professionnels issus de l’Académie des lettres, leurs enseignements relèvent des sciences humaines. Lesquelles sont plurielles, discutées et discutables. Elles ne relèvent pas de la science médicale à proprement parler et comme le soulignait, Emmanuel Garcin, les patients ne s’y trompent pas et savent justement fort bien apprécier ce pas de côté qu’offre la consultation d’un psychologue, dans leur prise en charge.
Cette indépendance de notre profession est à part, notamment dans la structure très hiérarchisée des institutions hospitalières. Et nous devons absolument la défendre en nous rassemblant, non pas malgré, mais forts de nos diverses approches. Nous devons nous prémunir du « narcissisme de nos petites différences » pour ne pas faire le jeu des divisions qui nous sont tendues.
Aussi, je ne peux m’empêcher de vous faire part de mes réflexions en relisant dernièrement, un article de Didier Anzieu datant de 1983, où il exposait son parcours pour défendre le statut des psychologues et construire une formation académique universitaire reconnue, au cours des 25 années précédentes. Il décriait ainsi les nombreux obstacles qu’ils avaient dû affronter et parmi ceux-ci, l’état d’esprit des psychologues, « eux qui ont généralement pour fonction d’aider à résoudre les problèmes des autres, attendent que ce soient les autres qui résolvent leurs propres problèmes professionnels. Au contraire, la profession des psychologues sera ce que les psychologues voudront activement qu’elle soit. » Et il en appelait ainsi à plus de dynamisme, d’assurance et de responsabilité dans notre corps de métier. Je vous dis ça car, il me semble que nous devons avertir tous nos collègues et ne faire preuve d’aucune passivité pour parvenir à nous mobiliser en masse face aux menaces qui guettent.
Enfin, la question de l’Ordre des psychologues peut séduire certains et demande de vrais débats, car c’est bien la para-médicalisation de notre profession qui menace. Là encore je vous invite à lire l’expérience de D. Anzieu dans cette aventure.
Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons laisser trois psychologues qui ne se revendiquent que d’eux-mêmes et de quelques abonnés sur leurs réseaux sociaux décider seuls du sort de notre profession. Dix-neuf organisations se sont mises au travail depuis déjà deux ans au sein du Cerédépsy, afin de renforcer notre statut de psychologues au travers de son code de déontologie et de sa reconnaissance. Si ce n’est déjà fait, je vous invite donc à suivre ces travaux qui nous concernent tous, et qui sont ouverts à la participation de tous de manière démocratique.
Je vous remercie pour votre attention.