De l’autre côté du miroir…
Introduction
J’ai aujourd’hui 38 ans, je suis professeure des écoles et titulaire d’une classe en Réseau d’Education Prioritaire (anciennement ZEP). A la fin de l’hiver 2017/18, alors que je venais de m’installer dans une jolie maison de banlieue avec mon ami et ses enfants, j’ai connu une dépression que j’avais pensé soigner en me faisant hospitaliser comme cela avait été le cas trois ans plus tôt dans le cadre d’un épuisement professionnel. Hélas, en me faisant hospitaliser, j’ai mis le pied dans un engrenage dont je tente d’expliquer les mécanismes en quelques points. Ce parcours chaotique m’a amenée à séjourner dans trois établissements différents, un public, un privé associatif et un privé lucratif, donc un « panel » assez représentatif de la diversité des lieux de soin. Si mon expérience n’est pas spectaculaire car je ne suis pas très « malade » et bien « insérée » socialement, elle montre que tout le monde peut un jour être touché par des troubles psychiques et la manière dont ils sont considérés, traités et parfois soignés dans notre société aujourd’hui. Il montre que personne n’est à l’abri de l’isolement et de l’invalidité psychique. Ce témoignage se veut également positif, ou du moins il ne se veut pas manichéen, puisque j’ai pu m’appuyer, entre autres, sur deux structures hospitalières pour me rétablir. J’espère que ce texte sera utile, qu’il suscitera de l’empathie et qu’il réveillera un esprit critique chez toutes les personnes concernées ou non par le soin psychiatrique.
Le manque de médiation thérapeutique
Lors de mon séjour d’une semaine à la clinique ND, j’ai constaté un manque considérable d’activités de médiation. On m’a proposé un atelier de sophrologie hebdomadaire auquel devait s’ajouter un entretien hebdomadaire avec une psychologue si je restais. Si bien que je me suis sentie totalement livrée à mes angoisses. Lorsque j’en ai fait part à la psychiatre chef du service, elle m’a renvoyé le problème en me demandant de « me ritualiser comme le faisaient les autres patientes. » J’entendais pourtant les « autres patientes » se lamenter. Elle a également qualifié cette incapacité à se ritualiser comme de la dispersion et m’a fait part de sa décision de m’administrer un neuroleptique, le Xeroquel.
Ce manque de médiation thérapeutique est criant également à l’hôpital V où j’ai effectué deux séjours ce printemps et où le seul professionnel proposant un atelier dans le service (une fois tous les 15 jours) était une art-thérapeute stagiaire.
Quant à la clinique L, si la thérapie par des médiations artistiques, corporelles et la parole est affichée comme un point fort des soins, l’écart est important entre les médiations annoncées et celles réellement disponibles. En effet, le nombre de patients accueillis est trop important au regard du nombre d’intervenants.
Questions : Est-ce une solution de pallier le manque de médiation thérapeutique par l’administration de neuroleptique puissant avec les effets secondaires que cela comporte pour le patient ? Comment peut-on traiter la dépression par l’ennui et l’absence de lien entre patients et entre patients et soignants ?
Le manque de disponibilité du personnel infirmier et médical
Dans les trois structures où j’ai été prise en charge, j’ai constaté un manque de disponibilité du personnel soignant. Je voyais les infirmiers seulement au moment de la prise de médicament, de la surveillance des repas (hôpital V et clinique ND), et lors de quelques entretiens que l’on voulait bien m’accorder. Régulièrement ces entretiens étaient différés et souvent une fois différés, n’aboutissaient pas. J’ai très souvent eu l’impression de déranger une équipe consacrée à des tâches informatiques. De plus les entretiens obtenus restaient superficiels et parfois maladroits, me renvoyant à ma solitude. Pourtant trois ans auparavant, à la clinique ND, travaillait une infirmière qui avait bénéficié de la formation spécialisée en psychiatrie et avec qui j’avais pu avoir de longs et réguliers échanges sur l’élément déclencheur de ma crise. Chacun de ces entretiens avait concourru à remettre du sens sur ce qui m’arrivait.
Question : Alors que l’on sait que la parole et la relation humaine sont les plus efficaces pour reconstruire le psychisme, pourquoi le personnel soignant est-il si peu disponible et formé ?
Je souhaite également alerter sur le manque de disponibilité des médecins psychiatres.
A la clinique L., c’est avec un ordinateur posé sur une table montée sur roulettes que les médecins circulent pour consulter leur patient de chambre en chambre à raison de 5 à 10 minutes par jour. Bientôt seront-ils eux aussi sur roulettes, comme dans les supermarchés d’autrefois ? Ou peut-être pourrons-nous les voir en visioconférence, comme c’était déjà le cas d ‘un cycle de conférences à distance sur les Thérapies Cognitives et Comportementales diffusé dans le salon de la clinique ?
A l’hôpital V je n’étais jamais informée du moment de l’entretien, si bien que je devais attendre dans ma chambre parfois une demi-journée dans l’espoir de voir le médecin. Cette incertitude était nécessairement génératrice d’angoisse, pour moi, comme pour l’ensemble des patients du service, faisant ainsi monter la pression dans le service. Cette attente contribuait également à me maintenir dans un état de passivité voire de soumission, ce qui est contraire à l’idée de patient acteur de son projet de soin promue par les politiques publiques.
Question : Pourquoi un tel écart entre la réalité des soins et le discours des pouvoirs publics ?
La « gestion » du risque suicidaire
Lors de mon séjour à la clinique ND, j’avais fait part à plusieurs reprises à l’équipe infirmière de mes idées suicidaires car je me sentais angoissée partout, y compris dans ce lieu, voire plus. Néanmoins, la psychiatre m’a accordé une permission 48 h après. J’ai profité de cette permission pour transformer ces idées en gestes au cours desquels je ne me suis pas mise en danger (la nuance est importante entre un geste et une tentative râtée). Comme je ne me suis pas présentée dans les temps à la clinique, la psychiatre a décidé le lendemain d’arrêter les soins et m’a recommandé de me présenter à l’hôpital V accompagnée d’un parent. Je me suis donc retrouvée au pavillon des urgences de l’hôpital V. Le délai d’attente étant important, mon accompagnateur a dû regagner son travail avant que je ne sois admise. Je me suis donc retrouvée seule au pavillon avec la possibilité de quitter le lieu à tout moment et de mettre à nouveau en oeuvre un geste suicidaire.
Question : La psychiatre connaissait très bien les conditions d’accueil de l’hôpital où elle m’envoyait. Sa décision était-elle donc motivée par une volonté de me protéger ou de se protéger elle et l’institution de laquelle elle dépendait ?
J’ai ensuite été admise dans un service de l’hôpital V duquel j’ai fugué une semaine après sans avoir commis de geste suicidaire et dans lequel je suis revenue de mon propre chef. Suite à cette fugue, le psychiatre qui me suivait a demandé à mon conjoint de participer à la mise en place d’une hospitalisation sous contrainte. Cette hospitalisation était-elle justifiée ? En effet, je n’avais pas eu de geste suicidaire, étais revenue volontairement à l’hôpital et reconnaissais que j’avais besoin de soins. C’était d’ailleurs toute la complexité de la situation : je savais que mon état nécessitait des soins de manière urgente mais je constatais que je n’étais pas dans le lieu qui pouvait les prodiguer, tout en ne sachant pas où aller. Cette situation m’enfonçait dans ma dépression.
Mon conjoint a néanmoins accepté une HDT (Hospitalisation à la Demande d’un Tiers) et donc été convoqué pour la signature sans que j’en sois informée. Après avoir signé dans le bureau du psychiatre, c’est lui qui a pris l’initiative de venir me voir pour m’en informer.
Cette manière de procéder m’a dépossédée de mon pouvoir d’agir, contribué à altérer la relation avec mon conjoint et renforcé le caractère grave et angoissant de la situation.
Question : Le fait de demander à mon conjoint de signer une HDT, impliquant un risque fort d’atteinte à notre relation, était-il justifié ?
En dépossédant de son pouvoir d’agir un patient atteint de dépression, la dépression n’est-elle pas renforcée ?
Le diagnostic
A mon arrivée à l’hôpital V, j’ai été suivie par le même psychiatre qui m’avait rencontrée 3 ans plus tôt dans une unité de courte durée (6 jours maximum de séjour). A l’époque, après deux entretiens, il m’avait diagnostiquée bipolaire de type 1 avec état mixte (c’est-à-dire une psychose), diagnostic qu’il a repris immédiatement à mon entrée dans son service, déclenchant un protocole médicamenteux. Alors que le médecin qui me suit depuis 10 ans et avec qui j’ai noué une relation de confiance, l’avait sans aucune hésitation infirmé 3 ans auparavant, je me suis soumise à ce diagnostic qui apparaissait au sein de l’hôpital comme une évidence indiscutable. Et sur le moment, cela me rassurait et rassurait une partie de mon entourage dont mon conjoint. Je n’avais pas encore saisi que le conflit entre mon médecin libéral et le médecin de l’hôpital dépassait très largement mon cas. D’un côté une équipe médicale et soignante m’assurait que j’étais porteuse d’une pathologie neurologique qui avait trouvé à s’exprimer au cours des situations problématiques de ma vie et de l’autre un médecin qui considérait ma souffrance comme liée à des des névroses dont il fallait m’aider à me libérer. D’un côté on pensait que ça n’était pas nécessaire voire nocif que j’aille explorer mon histoire, de l’autre on m’accompagnait dans la compréhension de mon fonctionnement, de mon histoire et de mon environnement pour mieux me protéger.
Question : Comment un médecin peut-il s’autoriser en deux entretiens à remettre en question 10 ans d’entretiens thérapeutiques ?
Comment peut-il s’autoriser à faire basculer une personne d’un épisode anxio-dépressif à une maladie chronique d’une manière si indubitable ?
Comment les pouvoirs publics peuvent-ils soutenir ces pratiques stigmatisantes et préconiser dans le même temps la lutte contre la stigmatisation ?
Le traitement
Le diagnostic de bipolarité a eu pour conséquence l’administration d’un deuxième neuroleptique, l’abilify. Deux jours après ma sortie de l’hôpital V, j’ai développé des effets extra-pyramidaux dont je n’avais pas été informée des risques. Je n’avais d’ailleurs été informée d’aucun des effets secondaires potentiels. J’ai donc subi un syndrome parkinsonien réduisant considérablement mes capacités physiques et mentales.
Afin de rendre compte de l’ampleur des effets, je vais les détailler. J’étais voûtée, je marchais lentement, à petits pas, incapable de me servir de mes mains tremblantes, mes muscles raidis ne me permettaient pas de m’endormir sans une prise associée d’une forte dose de somnifère et de neuroleptique. Quant à mes capacités intellectuelles, elles étaient considérablement ralenties. Je m’exprimais très lentement, avec beaucoup d’hésitation et ma pensée elle-même était très limitée. Pour autant, j’étais complètement lucide de cette « déchéance ». Heureusement, le médicament avait également pour effet de m’enlever toute émotion et sensation, je ne ressentais ni tristesse, ni joie, ni peur, ni sommeil, ni faim. Ce qui ne m’empêchait pas de voir l’avenir en noir. Comment imaginer vivre dans cet état alors que le fait même de me montrer dans la rue était humiliant ?
Le manque de préparation à la sortie
Si le psychiatre qui me suivait à l’hôpital V avait pris le soin de faire une demande d’admission au Centre Lyonnais de Psychatrie Ambulatoire, c’est moi qui ai dû suivre personnellement la prise en charge de mon dossier.
Ni lui, ni l’équipe infirmière, ni le secrétariat n’étaient disponibles pour le faire pendant la fin de mon séjour.
Personne ne s’est inquiété de savoir quelle était ma situation sociale et personnelle à ma sortie de l’hôpital (condition de reprise d’activité professionnelle, situation conjugale, logement). La question de ma reprise d’activité, étant données les responsabilités que j’occupe, et la charge mentale que cela demande méritait pourtant de se poser. Mais finalement je suis soulagée que l’hôpital ne s’en soit pas mêlé, étant donné les diagnostics posés. Qui sait l’orientation qu’aurait pris ma vie professionnelle ?
L’équipe était, par ailleurs, informée que mon conjoint m’avait quittée. Le médecin a nié la réalité en disant que ça n’était pas le moment de se séparer. C’était pourtant bel et bien acté.
Question : Comment peut-on laisser une personne sortir sans préparation sachant que le risque suicidaire est fortement augmenté suite à une hospitalisation psychiatrique ?
En synthèse
En trois mois et demi d’hospitalisation, je suis passée d’un état anxio-dépressif (selon la mention sur mon arrêt de travail) traité par un antidépresseur et un anxiolytique à un état chronique de bipolarité de type 1 avec état mixte traité par 3 puis 2 neuroleptiques (le 3ème neuroleptique ayant été arrêté par le psychiatre de la clinique L), un antidépresseur, un anxiolytique et un somnifère, développant par effet secondaire de l’abilify, un syndrome parkinsonien fortement invalidant.
Question : Comment peut-on qualifier ce parcours de parcours de soin ?
Epilogue
Cette expérience traumatisante marquera durablement ma vie. Néanmoins, après être sortie de l’hôpital, j’ai repris contact avec mes ressources grâce à plusieurs points d’appui dont je développerai les principaux :
J’ai été accueillie, dans les premières semaines qui ont suivi mon hospitalisation, par une amie et sa famille qui m’ont témoigné et exprimé leur attachement inconditionnel dans un cadre affectueux, bienveillant et sécurisant.
J’ai été admise au Centre Lyonnais de Psychiatrie Ambulatoire où enfin on a pris soin de moi. Le médecin y prescrit des ateliers et non des médicaments. Celui qui officiait à mon entrée a tout de suite relativisé le diagnostic en m’expliquant qu’un diagnostic était très subjectif. Ce qui lui importait était donc mon état clinique et la manière dont je me sentais. J’ai eu affaire à une personne autant qu’à un médecin. Un médecin qui a immédiatement identifié les effets extra- pyramidaux de l’abilify et agi efficacement pour que ses effets disparaissent. Une personne sensible qui a exprimé son empathie vis-à-vis de mon état, souligné mes ressources, valorisé ma volonté à avancer et surtout qui m’a fait confiance. Rien ne vaut quelqu’un qui fait confiance pour reprendre confiance en soi. Les ateliers qui m’ont été prescris depuis le mois d’août sont tous de très grande qualité. J’y ai rencontré des personnes (soignants et patients) d’une authenticité rare. J’y ai pleuré, j’y ai ri. J’y ai chanté, dansé, respiré, écouté, parlé, réfléchi, découvert des thérapies nouvelles et complémentaires de celles que je pratiquais.
J’ai repris le suivi thérapeutique avec mon médecin psychiatre libéral qui a de nouveau infirmé le diagnostic de bipolarité, arrêté tous les traitements progressivement, et avec lequel je continue un travail centré sur l’analyse de mes névroses et des traumatismes subis à l’hôpital.
J’ai repris mon activité professionnelle rapidement. D’abord en temps partiel thérapeutique et progressivement à plein temps. Le TPT m’a permis de me remettre de mon hospitalisation et de me soigner avec une disponibilité et donc une profondeur inégalée tout en exerçant une activité qui me nourrit affectivement, intellectuellement et à travers laquelle je me sens utile et compétente.
J’ai développé un regard critique sur la psychiatrie et ses dernières évolutions en prenant le temps de me documenter, de rencontrer une association administrée par et pour les usagers, (Humapsy), d’échanger avec des médecins et des soignants, de participer à des évènements organisés par des institutions ou des collectifs informels. Je me suis rendue compte de plusieurs choses :
Les médecins des services hospitaliers sont soumis à une autorité qui impose des protocoles, décide des niveaux et orientations budgétaires (médicament et plateau technique versus personnel soignant), ne protège pas les médecins sur la question du risque suicidaire (peines avec sursis encourues par des médecins suite à des suicides dont ils sont tenus responsables.). Ce contexte influe très fortement sur la relation aux patients, donc la qualité des soins.
Les enjeux financiers en santé mentale sont importants : niveau des dépenses de la sécurité sociale, impact des arrêts maladies sur la compétitivité des entreprises, marché de l’industrie pharmaceutique, marché de la recherche neuroscientifique, marché des équipements neurotechnologiques. Ces enjeux prennent le pas sur l’intérêt de l’individu.
Les neurosciences ont tendance à dominer le champ de la pensée au détriment des sciences humaines et notamment de la psychanalyse. Ainsi la thérapie institutionnelle, fondée à la fin de la seconde guerre mondiale, reste peu diffusée. Elle rend pourtant le patient acteur de ses soins comme le préconise les politiques publiques en santé mentale actuellement.
Nous, les « usagers de la psychiatrie » sommes mal représentés si bien que l’UNAFAM parle à notre place. Or, nous avons parfois besoin de nous émanciper de notre entourage et, plus particulièrement, de notre famille pour aller mieux. Et pour aller plus loin, cela peut arranger notre famille que la cause de notre mal-être soit biologique.
Malgré ce contexte, il existe des lieux, des professionnels et tout un ensemble de personnes engagés, créatifs, intelligents, généreux, sensibles, qui permettent de se relever. J’ai eu la chance d’en rencontrer et je peux dire aujourd’hui que cette crise existentielle a finalement été l’occasion de continuer ma vie de manière plus lucide et authentique.
A., une citoyenne
A Lyon, le 06/04/19
Témoignage lumineux marquant et salutaire
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