Le printemps… Il a déjà eu lieu !

Le printemps de la psychiatrie ?… Il a déjà eu lieu !… Dans les années 70…

Étudiant en médecine j’étais inscrit dans le nouveau cursus de psychiatrie qui se démarquait de la vieille « neuropsychiatrie » (accouplement de la « carpe et du lapin ») et qui faisait enfin toute sa place à la psychanalyse… J’ ai alors découvert l’antipsychiatrie, de David Cooper ou de Ronald Laing…, et, ce qu’on aurait pu appeler « l’anti psychanalyse », « l’Anti-Œdipe » de Deleuze et Guattari bien sûr, mais aussi les psychanalystes dits « dissidents », ou marginaux…, Willem Reich, Alfred Adler ou « l’école de Francfort » (terme savant et assez obscur – chacun en ayant une interprétation personnelle… Pour moi ce fut Marcuse…, « Eros et Civilisation » …).

Le « printemps de la psychiatrie » c’était alors d’« extirper » la folie de la pathologie du système nerveux, d’introduire l’inconscient (comme « cause » ou comme lieu ? de la folie…) et, avec le marxisme, ou les marxistes (fussent-ils dissidents ou marginaux qui s’en réclamaient, Tosquelles, Pasolini ou Althusser…), de « découvrir » les déterminismes sociaux (… comme cause ou comme lieu…).

Le marxisme c’était Tosquelles et les anarchistes espagnols…, Pasolini et l’homosexualité, Althusser et sa folie… (qui n’empêchait pas son génie).

On était à mille lieux de la grisaille de 2019…, et des luttes désespérées contre les restrictions budgétaires (et les privatisations…) nécessaires aux profits de l’industrie pharmaceutique et des compagnies d’assurances privées (les «mutuelles »…).

Aujourd’hui, il y a urgence. Urgence à prendre conscience que pour lutter contre une psychiatrie axée sur les profits financiers (faits sur le dos de la folie), il faut d’abord se débarrasser de la pensée dominante… Pensée que, depuis 50 ans, le pouvoir médiatico-financier nous impose, par le « consensus » ou par la force ! (Charlie Hebdo, L.B.D. 40, grenades de « désencerclement » …). C’est impossible de changer « les pratiques » psychiatriques sans se débarrasser des représentations qui les soutiennent, sans remettre en question l’idéologie de la maladie mentale et sans sortir de « la pensée straight ». La pensée que les L.G.B.T. dénoncent dans leurs combats et que les féministes, Judith Buttler, Monique Wittig ou Sylvia Féderici, ont analysé pour nous (comme si, pour échapper à la pensée dominante…, à la pensée de « la libre entreprise », il avait fallu se réfugier dans les universités américaines).

« Et n’oubliez pas… On n’est jamais suffisamment triste pour que le monde soit meilleur » – nous rappelle le « dernier Godard »…

2019 est triste, très triste…, mais pas assez encore pour que nous n’ayons d’autre choix que de changer le monde…

En 2019, psychiatre je suis resté antipsychiatre…, – et psychanalyste je deviens « anti psychanalyste » …

Être antipsychiatre ce n’est pas nier la souffrance psychique c’est refuser d’enfermer l’autre dans la maladie mentale… La réponse psychiatrique à la folie est au mieux inadaptée…, au pire meurtrière… La folie n’est pas une maladie … C’est une manière d’être, une réponse, ou une tentative…, pour s’adapter à la réalité…

Quand la réalité est folle…, insupportable !… Verdun, Auschwitz, Hiroshima…, la torture, l’esclavage, l’hétérosexualité reproductive obligatoire… Quiconque s’y trouve pris sera en grande souffrance…

… Plutôt que d’être rejeté, nié ou sommé de se taire…, chacun aura besoin d’être écouté, aidé, accompagné, réassuré dans son appartenance à l’espèce humaine – sa folie y comprise…

Voilà pour antipsychiatre…, mais « anti psychanalyste » ?!… Qu’est-ce que ça veut dire ?…

La psychanalyse peut faire taire aussi…

Faire taire la transgenre, la drag-queen, le Che, Althusser ou Virginia Woolf… Faire taire « la femme… », le militant ou le gilet jaune…, faire taire les opprimés…

« A quoi bon se révolter puisqu’il faut bien une norme ? … »

Mais de quelle(s) norme(s) parlez-vous ?!!!…

Hétérosexuelle ?…

… Esclavagiste ?…

Néo-libérale ?!…

… Même si ces normes tuent ?!… Même si elles font éclater un œil, si elles arrachent des mains…, ou si elles condamnent trente mille personnes à la noyade dans la méditerranée ?…

A nous de voir…, – ou de ne pas voir.

A chacun d’entendre, – ou de rester sourd.

Il semblerait que ne soyons pas encore « suffisamment tristes pour que le monde soit meilleur » …

René Coucke

Pier Paolo Pasolini (1922 – 1975)