Promenade critique sur le site internet de l’association FondaMental
La première image qui s’affiche sur le site est la photographie d’une femme, en gros plan, l’œil tout proche d’un microscope. Cette illustration occupe, disons, les deux tiers du site de l’association. Les deux tiers du haut de la page à l’écran. Ainsi d’emblée la place du scientifique, du chercheur ou de la chercheuse, de l’expert ou de l’experte, est affichée comme prépondérante.
Ce n’est pas l’image – pourtant nécessairement centrale – d’une personne souffrante qui nous est proposée d’emblée. Il n’est pas question de souffrance ou de maladie mais de technicité. Il n’est pas question des conditions de vie immédiate et réelle des patients.
Il a été choisi de mettre en scène le laboratoire, lieu de recherche et d’exploration plutôt que la rue, la prison, un foyer, un Centre d’Hébergement d’Urgence ou un Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale, une studette de Maison-Relai, un studio de l’habitat social, la chambre chez les parents.
Il est important de préciser ces points puisque la question du logement des personnes souffrant de troubles psychiatriques invalidants est un sujet d’actualité brûlant. Cette question est importante car l’accès au travail, aux revenus associés se pose. La capacité à exercer et à conserver un emploi stable et décemment rémunéré à l’ère de la productivité, de la concurrence de tous contre tous, d’une précarisation des contrats est une gageure. Une illusion ? L’Allocation Handicapée est (parfois) de mise.
Une famille inquiète, des amis soucieux, accompagnants un patient vers un service de soins délabré, un bâtiment vétuste, c’est moins engageant. Moins vendeur.
Mais poursuivons notre promenade sur le site de l’association.
Cliquons sur « nous connaître » et « nos valeurs ».
Que lit-on dès la première phrase ? Que l’association est donc une « Fondation de recherche dédiée à la lutte contre les maladies mentales ».
Et voici déjà la confirmation que cette fondation se préoccupe avant tout de ses membres et de ses intérêts. L’ici et le maintenant des patients d’aujourd’hui n’est pas l’urgence – ce qui compte, c’est l’avenir forcément incertain de travaux d’exploration.
« la Fondation FondaMental allie soins et recherche de pointe pour promouvoir une prise en charge personnalisée et multidisciplinaire des troubles psychiatriques sévères ». C’est la seconde phrase et le doute nous étreint. Lorsqu’il est question « de pointe », on frémit. Parce que quelle considération est alors apportée à tous les autres lieux, tous les autres acteurs de la santé mentale. Qui ne seraient pas, eux, « de pointe ».
L’accent sur la « personnalisation » nous alerte également car ce qui frappe, c’est surtout la communauté de destin que connaissent les personnes atteintes de « troubles psychiatrique sévères ». Dont les conditions de vie sociale sont esquissées au-dessus.
« La Fondation FondaMental place la prévention et l’innovation au cœur de son action ». Personne ne peut s’opposer à cette ambition louable. Cependant il s’agit de ne pas être dupe : quelle position défend cette fondation ? et aux détriments de quelles autres ? Réclame-t-elle des moyens pour l’hôpital public que l’on sait soumis aux restrictions budgétaires ? réclame-t-elle des moyens pour le secteur médico-social ?
Poursuivons notre promenade critique.
Toujours sur cette même page d’accueil, un entête retient notre attention : « Guérir les maladies mentales et donner de l’espoir aux familles ». Là encore, tout est dit : le patient en tant que personne, en tant qu’individu est évacué de l’objectif énoncé en lettres capitales. C’est la maladie qui est placé au centre du dispositif pas l’être souffrant, l’homme ou la femme perdu.e. Et à qui s’adresse-t-on avant tout : aux familles. Toujours pas aux êtres souffrants.
Des catégorisations se dessinent. Et ceux-ci automatiquement opposent les unes aux autres. On opère par là même une simplification. Et on se veut positif, c’est à la mode, c’est dans l’ère du temps : on va donner de l’espoir. Valeur qui est tout sauf concrète. L’espoir, le dictionnaire le précise, est un sentiment. Il n’apporte ni amélioration des symptômes ni insertion sociale.
Et c’est vraiment difficile pour l’association FondaMental de penser collectivement les patients lorsqu’elle s’y efforce tant bien que mal puisque même l’orthographe lui résiste ! Un entête plus bas, on lit : « Les patient (sic), au cœur de l’alliance du soin et de la recherche ».
Mais là encore, quelle qualité des soins peut-on assurer dans des hôpitaux publics que l’on sait exsangues ?
A ce stade, les personnels soignants voudraient pointer que les formations dont ils disposent ne portent pas l’accent sur la spécialité psychiatrique : de moins en moins d’heures de cours, des heures de cours de moins en moins diversifiées, de moins en moins étoffées, riches, voilà ce qui nous est proposé, autant pour les infirmiers que pour les psychiatres.
Puisque la maladie mentale est une maladie comme une autre, cessons d’enseigner toutes les matières qui se rapproche du sujet de la folie. C’est ironique. Faisons disparaitre ce mot et avec lui, tous ceux qui en souffrent, et tous ceux qui la soignent au quotidien à l’hôpital, dans le secteur médico-social, plutôt que ceux qui se dévouent dans les laboratoire ou à l’université…
Alors on continue la promenade critique sur le site de ce lobby ? Ou on prend un chemin de traverse ?
Optons pour un chemin de traverse et nous reviendrons plus tard à FondaMental…
Notre chemin de traverse est le dernier rapport de la CGLPL, la Contrôleuse Générale des Lieux de Privation de Liberté.
Adeline Hazan et son équipe, le 15 juillet 2020, ont publié un rapport qui devrait faire date : il s’intitule « Soins sans consentement et droits fondamentaux ».
Son préambule résonne autrement que le site de l’association FondaMental : « Un français sur cinq souffre de « troubles mentaux », souffrance ayant conduit, en 2016, 342 000 personnes à une hospitalisation à temps complet. Parmi celles-ci, 80 000 ont été prises en charge sans leur consentement. Ce mode d’admission, prévu par la loi depuis le 19ème siècle, s’associe souvent à l’enfermement de ces patients dans l’établissement de santé habilité à les recevoir, établissement qui devient ipso facto un lieu de privation de liberté. Le CGLPL s’est toujours montré préoccupé par la question de l’enfermement en psychiatrie et en a fait sa priorité depuis 2014 ».
Il s’agit ici de nommer la part sombre du champ de la psychiatrie qui n’est pas abordée sur le site de FondaMental qui s’entête à défendre « une excellence scientifique et médicale pluridisciplinaire », qui insiste sur l’importance du « recueil de données médicales et biologiques comparables, essentiel au progrès des connaissances ».
Un peu plus loin dans le rapport (page 6), on lit : « Les personnes admises en soins psychiatriques sans leur consentement sont, pour nombre d’entre elles, parmi les plus vulnérables des personnes privées de liberté, les moins capables de défendre leurs droits et leur dignité. Pour une partie d’entre elles, c’est même en raison de leur incapacité que cette mesure leur est appliquée puisque selon la loi, « ses troubles mentaux rendent impossible son consentement ». Leurs familles et leurs amis, souvent plus accablés que vindicatifs, ne sont pas en situation de veiller au respect de leur proche hospitalisé. Le patient est, à la lettre, pris en « charge » et n’est guère exigeant sur le respect de sa personne. »
Et immédiatement apparaît de façon saisissante la différence entre ceux, organisés en réseaux, qui peuvent prendre la parole et influer sur les orientations politiques publiques, ceux qui manient les discours policés et optimistes, innovants et pointus et ceux à qui la parole est déniée ou qui ne peuvent tout simplement pas la prendre du fait de leur condition de patient. De malade atteint d’une forme grave d’un trouble psychiatrique sévère. Elle est aussi déniée à leurs proches, s’ils en ont, s’ils supportent la gravité de leurs symptômes et les accompagnent toujours.
Le constat, accablant, vient des équipes hospitalières elles-mêmes : « Le fonctionnement fermé [des établissements], conjugué aux difficultés matérielles croissantes, entraîne des dérives, limite les prises de distance, ainsi qu’en témoignent de nombreux soignants : « on ne se voit plus travailler »
C’est ici et maintenant que des moyens à hauteur des besoins doivent d’être déployés : « Les établissements de santé mentale ne sont pas épargnés par la crise de l’hôpital public, qui touche notamment aux moyens humains, à laquelle s’ajoute pour eux, la mutation de la patientèle et de la demande collective : l’évolution de la nature des troubles mentaux, en partie consécutive aux difficultés sociales et à des conditions de vie déstabilisantes, un besoin de sécurité plus ou moins réel mais exacerbé par le discours politique. Une demande paradoxale est faite à la psychiatrie : celle d’une ouverture par le virage ambulatoire accompagné de la fermeture d’un grand nombre de lits d’hospitalisation et celle d’un enfermement de plus en plus fréquent ou durable des individus perturbants, par souci de sécurité » (page 8).
Dans le rapport de la CGLPL, nul embellissement de la maladie mentale : « Les troubles mentaux suscitent plus d’effroi que de compassion. L’empathie trouve difficilement à s’exprimer face au délire, à la désorganisation apparente de la pensée, à la déraison » (page 18). Ellipse : l’effroi, le saisissement et la peur disparaissent du site FondaMental. Derrière un microscope ou à la tribune des salons dorés (vidéos de la fondation accessibles en ligne), on n’est pas confronté à l’agitation, à l’angoisse des patients contrairement aux équipes du terrain : aides-soignants, infirmiers, médecins des établissements publics de santé mentale. Que ce terrain soit un Centre Médico-Psychologique, un Hôpital de Jour, un service dit « intra » ou un service d’urgences.
La rubrique schizophrénie de la Fondation énumère les symptômes, les détaille mais en les mettant à distance : une désincarnation est à l’œuvre dans la description qui en est faite. Un biais optimiste est fait quand des chiffres, des statistiques sont donnés : « 15 à 20 % des schizophrénies débutantes évoluent favorablement lorsqu’elles sont prises en charge rapidement. » Evidemment, il n’est pas souligné que 80 à 85% des schizophrénies évoluent mal… Et puis on passe très vite sur la « précarité » : le mot est employé sans être illustré.
A l’opposé le rapport d’Adeline Hazan se montre beaucoup plus précis, notamment lorsqu’il évoque le problème de la contention, de sa pratique abusive. En effet le mot y apparaît 57 fois (sur un total de 179 pages). Le mot « isolement », lui, y apparaît 144 fois ! Il réfère aux pratiques de mise à l’écart des patients en chambre. Ces pratiques de dernier recours ou méthodes de contrôle sur lesquelles revient inlassablement Adeline Hazan ne laissent aucune place à l’ambiguïté quant à la place excessive que prennent celles-ci…
Révélant la misère du secteur.
Rendant plus insupportable l’exploration du site internet de l’association FondaMental…
Que nous avons qualifié de lobby sans expliciter ce terme ainsi définit : « Groupement, organisation ou association défendant des intérêts financiers, politique ou professionnels, en exerçant des pressions sur les milieux parlementaires ou des milieux influents, notamment les organes de presse ». (On se rappellera ainsi l’intense campagne médiatique de deux médecins de FondaMental à l’occasion de la parution de leur livre : Psychiatrie l’Etat d’Urgence).
A l’inverse on peut lire cette présentation sur le site du Contrôleur Général des Lieux de privations de Liberté : « Suite à la ratification du protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines et traitement cruels, inhumains et dégradants adopté par l’assemblée générale des Nations-Unis le 18 décembre 2002, le législateur français a institué, par la loi n°2007- 1545 du 30 octobre 2007, un Contrôleur général des lieux de privation de liberté et lui a conféré le statut d’autorité administrative indépendante ». Au-dessous on apprend : « A ce titre, le Contrôleur général accomplit sa mission en toute indépendance : il ne reçoit d’instructions d’aucune autorité, il est nommé pour une durée de six ans, sans qu’il puisse être ni révoqué au cours de son mandat, ni renouvelé. Il ne peut être poursuivi à raison des opinions qu’il émet ou des actes qu’il accomplit dans l’exercice de ses fonctions, il ne peut exercer d’autres activités professionnelles ou de mandats électifs ».
A ce stade nous décidons d’interrompre prestement notre promenade critique du site de FondaMental… pour aller explorer le rapport (téléchargeable) de la CGLPL !
Pascale Boumediane, soignante en psychiatrie