Communiqué de presse du 15 mars 2022 : Assises citoyennes du soin psychique

Communiqué de l’atelier « Urgence de repenser l’Enfance en souffrance » adressé aux parlementaires

Nous sommes un collectif créé à la suite des Assises citoyennes du soin psychique, qui se sont tenues le vendredi 11 et samedi 12 Mars 2022, à Paris. Ces Assises ont réuni 500 personnes (200 personnes supplémentaires étaient en liste d’attente) et 400 connectés en visioconférence : usagers de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie, familles et proches, citoyens concernés, professionnels du soin, du travail social, du travail éducatif, de l’Education Nationale, de la justice, de la protection de l’enfance.


A la suite de la tenue d’un groupe de travail, au sein de ces Assises, sur la condition des enfants, adolescents et jeunes adultes, nous demandons la tenue de débats parlementaires sur les sujets suivants :

– l’inclusion des enfants, adolescents et adultes en situation de handicap

-les pratiques de contention et de surmédication des enfants et adolescents.

En ce qui concerne l’inclusion, nous avons été informés des propos d’Eric Zemmour affirmant que de nombreux enfants en situation de handicap n’ont pas leur place en classe ordinaire et devraient être accueillis uniquement dans des lieux spécialisés. Nous avons constaté que ceux-ci ont été suivis d’une réaction quasi-unanime des différents partis politiques, glorifiant la politique des secrétariats d’Etat au handicap des trois derniers gouvernements successifs. Or, celle-ci prône la fermeture des lieux spécialisés de soin et d’accompagnement au nom d’une « désinstutionnalisation » pour se focaliser sur l’« inclusion » de ces enfants en école ordinaire.

Ces deux discours reposent sur la fiction selon laquelle :

-la politique actuelle de l’Education Nationale permettrait un accueil harmonieux des enfants en situation de handicap en école ordinaire
-la politique actuelle de la Santé permettrait qu’existent de nombreux lieux spécialisés de soin et d’accompagnement.

Cela est faux. 

Nos expériences sont les suivantes : la réalité de très nombreux enfants et de leurs familles, c’est tout simplement l’attente désespérée d’une place dans un lieu spécialisé et l’accueil nulle part. Exemple parmi tant d’autres abordé lors des Assises, une enfant attend depuis plus de 919 jours une place en IME et sa mère écrit chaque jour au Président de la République.

La réalité des lieux spécialisés de soin et d’accompagnement, c’est l’ensevelissement sous un nombre de demandes tel que le temps d’attente avant d’être reçu, pour un enfant ou un adolescent, atteint parfois plusieurs années, et le détournement du travail des professionnels vers des tâches de gestion purement technique de dossiers.

Et loin d’une « désinstitutionnalisation », lorsqu’un enfant ou un adolescent est en crise, faute de possibilités de soin et d’accompagnement de proximité, réguliers et relationnels, ce que nous voyons apparaître, c’est le retour de pratiques asilaires honteuses, intolérables et illégales dans certains lieux ou certains services d’urgences : contentions et surprescriptions de psychotropes n’épargnent désormais plus les enfants.

Nous connaissons la cause de cela : le « Nouveau management public » qui régit le soin, l’enseignement, la protection de l’enfance, la justice, vise la rentabilité, parle de « flux » et déteste les « stocks ». Or un hôpital de jour, un IME, un CMPP ou un CMP qui suit des enfants au long cours, un lieu d’accueil de la protection de l’enfance, c’est un « stock » qui semble pour certaines femmes et hommes politiques bien gênants et coûteux. Le modèle prôné est de définancer ces lieux à l’aide de la réforme du financement de la psychiatrie qui s’applique depuis le 1er Janvier 2022 pour, à terme, justifier leur fermeture ou leur transformation en « plateformes » de consultation ponctuelles, productrices de « bilans » divers et variés. Il s’agit de convertir l’argent économisé en allocations destinées aux familles, « libres » alors de payer des cabinets privés de prestations à domicile, d’aide à la personne, de formation, de nouveaux bilans. Mais alors, dans ce modèle de société, quid de la sociabilisation, des rencontres, des amitiés, des projets de vie, que les enfants et adolescents peuvent créer dans les collectifs de soin et d’accompagnement quand ceux-ci ont des pratiques vivantes et anti-validistes, et à l’école quand la scolarisation est bien accompagnée en partenariat avec ces collectifs de soin ? Quid des familles qui ne souhaitent pas être le soignant de leur enfant ? Quid de la notion de service public égalitaire et sans condition de revenu ?

Nous, ce que nous observons souvent, c’est l’envers du décor : ni stock (puisque les lieux ferment ou se transforment en dispositifs de bilans) ni flux d’enfants : ils sont tout simplement abandonnés avec leurs familles. Par contre un flux, il en existe bel et bien un : le flux de dossiers MDPH et le flux de bilans, qui circulent de mains en mains et de dispositifs « innovants » en dispositifs « innovants ». Les enfants et les adolescents sont toujours, eux, accueillis nulle part.

Par ailleurs, nombreux sont ceux d’entre nous qui ont vécu, à l’école ordinaire, une inclusion sous forme d’injonction à se comporter comme un élève ordinaire, sous peine d’être exclu, ou une inclusion de façade avec une Unité d’Enseignement à part et des récréations séparées. Nombreux sont les élèves sans accompagnants (AVS, AESH) malgré les demandes de collectifs de parents et des équipes pédagogiques. Et nombreux sont les professeurs qui avouent leur grande difficulté à accueillir ces élèves dans les classes ordinaires en l’état actuel de fonctionnement de l’Education Nationale : en termes de moyens humains, de formation, de travail d’équipe et du nombre d’élèves par classe. Effet direct, de plus en plus nombreux sont les enseignants qui déclarent auprès de leur CHSCT des situations à risque pour la santé des enfants sans que rien ne soit mis en place pour résoudre ces situations.

Nous constatons également la focalisation validiste de la MDPH sur les capacités des personnes en situation de handicap à travailler, notamment en ESAT, alors même qu’une enquête récente montre enfin la réalité de ces lieux qui bien souvent exploitent les travailleurs handicapés : sous-payés et interdits de se syndiquer ; certains directeurs sont même fiers de vanter une main d’œuvre supposée docile peu chère et qui rapporte des primes à l’entreprise.

Nous savons que certains usagers, certaines familles et certains professionnels sont satisfaits de l’ensemble de ce système ; leurs intérêts de classe, leurs intérêts personnels sont convergents avec ceux d’une société inégalitaire, utilitariste et privatisée. 

Ce n’est pas notre cas. Nous nous opposons radicalement aux propos d’Eric Zemmour car nous faisons l’hypothèse que ses motivations sont eugénistes. Nous nous opposons radicalement à la fausse inclusion du gouvernement actuel car nous faisons l’hypothèse que ses motivations sont validistes et s’inscrivent dans la rationalité néolibérale. A propos de validisme nous constatons d’ailleurs que la secrétaire d’Etat actuel au handicap s’oppose à la déconjugalisation de l’Allocation  Adulte Handicapé. 

Prenons les choses au sérieux :

On nous parle de la réussite de l’inclusion scolaire en Italie. Alors nous voulons pour l’école française des conditions proches de celles de l’Italie : classes à petits effectifs, co-enseignement par un enseignant spécialisé et un enseignant ordinaire, professeurs pouvant exercer une réelle pédagogie différenciée, accompagnants formés et titularisés.
On nous dépeint des « institutions » de soin et d’accompagnement (comme si les écoles n’étaient pas également des institutions), comme des lieux fermés, de relégation, ségrégatifs, infantilisants. Nous sommes fatigués de ces calomnies. Nous affirmons qu’un certain nombre de lieux pratiquent au contraire un accueil chaleureux, ouvert et vivant, que les enfants et adolescents qui y sont reçus sont pris au sérieux, sont des interlocuteurs valables, qui peuvent influer sur le fonctionnement même de ces lieux. Aussi, lorsque des pratiques intolérables apparaissent quelque part : isolement, contention, médication inadaptée ou excessive, d’enfants et d’adolescents, nous exigeons qu’elles soient dénoncées radicalement, que leurs auteurs soient poursuivis. Quant aux pratiques validistes, c’est toute la société qui est concernée. Les lieux de soin et d’accompagnement, comme tous les autres, doivent combattre toute forme de domination des personnes valides sur les personnes porteuses de maladie et/ou de handicap.

Or, ce que nous constatons, c’est plutôt que les professionnels osant lancer l’alerte sur l’abandon des patients et des familles, sur la perte de sens du travail, et sur les pratiques maltraitantes d’enfermement, de contention et de surmédication, subissent souvent en retour harcèlement et représailles, au point que la plupart préfèrent se taire. Nous demandons la protection de ces personnes.

En ce qui concerne la contention, nous demandons l’abolition de cette pratique dont nous affirmons qu’elle n’est jamais thérapeutique mais toujours traumatisante.

Nous demandons un meilleur encadrement de la prescription de psychotropes aux enfants et adolescents, notamment des dérivés amphétaminiques et des neuroleptiques qui sont actuellement sur-prescrits par certains praticiens et certains services alors même que le bénéfice thérapeutique n’est pas prouvé.

Nous vous demandons de vous positionner, Madame, Monsieur, sur ces points et la tenue d’un débat parlementaire.

Pour les Assises citoyennes du soin psychique,
Le groupe de travail enfants, adolescents et jeunes adultes.

printempsdelapsychiatrie@gmail.com

Contacts presse : Loriane Bellahsen 06.84.51.73.77 ; Martin Pavelka : 06.29.91.19.28

Pour adresser le communiqué aux parlementaires, le PDF peut être téléchargé ici :

Atelier 4, appel à témoignages

A l’initiative de l’Appel des appels, du collectif des 39 et du Printemps de la psychiatrie, les « Assises Citoyennes du Soin Psychique » se tiendront à la Bourse du Travail de Paris les 11 et 12 mars 2022 et proposeront un atelier dévolu à l’enfance et l’adolescence en souffrance psychique.

De fait, il est indéniablement constaté une mise à mal de tous les lieux et dispositifs impliqués dans la prise en charge des enfants, à la fois dans le domaine du soin, mais aussi dans les champs scolaires, éducatifs, médicaux, du médico-social, de la justice, de la protection, etc. 

De plus en plus, les impératifs éthiques d’accueil, de présence et d’engagement se trouvent démentis au profit de mots d’ordre économiques de réduction des dépenses publiques et de slogans idéologiques, favorisant l’apparition de dispositifs « innovants », hors-sol et plateformisés, sous-tendus par une logique de tri et d’exclusion.

Délais interminables pour obtenir un première consultation…

Prises en charges clairsemées, dont l’efficacité est parfois difficile à saisir…

Sentiment d’être mis à l’écart ou jugé en tant que famille…

Adolescents hospitalisés en services adultes, souvent isolés, parfois attachés… 

«  Inclusion » scolaire de façade s’interrompant dès que l’enfant manifeste trop bruyamment ses particularités…

Enseignants en souffrance, en arrêt de travail, en burn out …

MDPH notifiant des solutions inexistantes…

Parcours du combattant pour trouver un lieu adapté…

Places très peu nombreuses… 

Lieux parfois infantilisants et contrôlants, tout en affichant de paradoxales injonctions à l’autonomie…

Enfants en attente de placement, de familles d’accueil, de soins, subissant des maltraitances dans les lieux censés les protéger, abandonnés dès leurs 18 ans ou 21 ans…

Pénurie de matériel, de personnel, lieux de proximité fermés, financement au rendement…

Nous, professionnels de différents horizons, usagers de la psychiatrie et du médico-social, familles, citoyens, sommes nombreux à souffrir de ce genre d’expérience au contact des services de soin, de la pédopsychiatrie, de l’école, de la protection de l’enfance. Les services publics dédiés à l’enfance sont, par endroits, devenus bien indésirables et difficiles à défendre. Nous n’avons pas le pouvoir de renverser rapidement les politiques successives de privatisation et de paupérisation qui ont mené à cela.

En revanche, nous pouvons tenter d’agir localement, ensemble, dans les lieux et services proches de nous, pour les rendre accueillants et désirables pour tous.  Cela, pour certains d’entre nous, nous l’avons expérimenté aussi, avec bonheur.

Concrètement, comment faire des lieux proches de nous des territoires de pratiques en lutte, contre le tri et la hiérarchisation des êtres humains, contre le validisme, pour un accueil et un soutien de chaque personne telle qu’elle est ?

Pour cet atelier, « Urgence de repenser l’enfance en souffrance », il parait donc essentiel d’en revenir aux enjeux concrets rencontrés sur le terrain des pratiques. Dans cette optique, le témoignage, le récit, le partage, constituent déjà des éléments de résistance face aux distorsions du réel et à l’imposition d’un discours managérial ubiquitaire. Commençons par raconter, faire vivre, rappeler, dénoncer, contester, s’indigner, se révolter ensemble, dans l’écoute des particularités et des éprouvés.

Il semble également primordial de faire émerger des aspirations, des élans et des espérances. Notre rencontre, citoyenne et plurielle, se donne pour objectif de bâtir des (contre)-propositions, de définir des actions communes, de relancer des luttes collectives, pas seulement en opposition, mais aussi à travers l’affirmation d’alternatives et de revendications concrètes, basées sur l’expérience des uns et des autres. 

En tant que professionnels, acteurs, citoyens, familles, usagers, enfants ou adolescents, impliqués par la question du mal-être infantile, nous nous permettons ainsi de vous solliciter afin de recueillir vos témoignages, doléances, inquiétudes, colères, revendications, propositions, rêves, affirmations, visions, etc. Car, au-delà du mépris contemporain de l’enfance, c’est à travers les mots et les narrations individuelles et collectives que nous puisons l’espoir de ressortir de cet atelier avec des perspectives de transformation.

Merci d’avance de vos réponses libres à ces quelques questions, qui s’adressent à toute personne qui a ou qui a eu, directement ou indirectement, affaire aux services dédiés à l’enfance et à l’adolescence : pédopsychiatrie, médico-social, inclusion scolaire, suivis éducatif ou rééducatifs, protection de l’enfance, justice des enfants.

Pour retrouver l’appel suivi des questionnaires :

Initialement publié sur le blog Mediapart du Docteur B.B.

voir aussi les publications sur le site : « Mobilisation pour une psychiatrie relationnelle et vivante »