Un délégué sans lien, ni conflit d’intérêt ?

Un délégué interministériel sans lien, ni conflit d’intérêt ?

Ce mercredi 10 avril, le professeur Franck Bellivier, a été nommé délégué interministériel à la psychiatrie. La création de ce poste inédit aurait pu réjouir les soignants de psychiatrie mais le choix d’un chercheur issu des neurosciences et proche de Fondamental les a profondément déçus voire révoltés. Un professionnel au fait de la psychiatrie de secteur et des soins aurait davantage convaincu et rassuré à un moment où la psychiatrie doit faire face à un présent particulièrement morose. Cette nomination apaisera-t-elle des soignants mobilisés contre le manque de moyens et l’absence de pensée du soin ? Il est permis d’en douter.

Pas de déclaration de liens d’intérêt

Tout psychiatre qui publie un article dans une revue ou qui participe à un groupe de travail (par exemple à la H.A.S.) est astreint à remplir des documents mentionnant ses éventuels liens et conflits d’intérêt. La loi oblige le médecin à être exhaustif. Le moindre repas offert, le moindre hébergement doivent apparaître. Il est permis de trouver cette volonté de transparence un tantinet obsessionnelle. Il n’empêche, tout personnel médical y est tenu.

Tous ? Non.

Le délégué interministériel à la santé dont le rôle politique a été mis en exergue par de nombreux commentateurs semble, à l’heure actuelle, en être dispensé. Est-ce normal ? S’il ne l’a pas fait diront les naïfs c’est qu’il n’en a pas. Les plus soupçonneux remarqueront que ses liens avec les laboratoires sont tus depuis bien longtemps. S’agit-il bien d’ailleurs de conflit d’intérêt ? Ses intérêts ne sont-ils pas les mêmes que ceux d’Astra-Zeneca et autres Servier ? Le silence alimente la suspicion c’est bien connu.

Non, non pas de lien d’intérêts

Que trouve-t-on sur Internet concernant notre nouveau délégué ? Le 23/12/2015, un article dont il est le co-auteur est mis en ligne : « Prévention et traitement : l’aide d’internet aux consommateurs de cannabis ».  Déclare-t-il des liens d’intérêt ? Non aucun. Cannabis, Internet, ces liens ne sautent pas aux yeux. La loi pourtant recommande… Taisez-vous ! Vous êtes de la vieille psychiatrie.

Continuons notre navigation. En 2013, deux ouvrages dont il est un des co-auteurs sont publiés :

-Les antidépresseurs, Ed. Lavoisier, collection « psychiatrie », Aout 2013. Il rédige le chapitre 14. Traitement des dépressions des troubles bipolaires.

-Les antipsychotiques, Ed. Lavoisier, collection « psychiatrie », Décembre 2013. On lui doit le chapitre 8 Les antipsychotiques dans les troubles bipolaires.

Il est difficile mais éthique, sur une telle thématique, d’être indépendant des laboratoires. Déclare-t-il avoir un conflit d’intérêt ? Non aucun conflit en lien avec le texte publié. La loi dit que … Ta gueule !

Et pourtant, un certain nombre de ses co-auteurs (Cottencin, Lançon, Limosin, Llorca, Rolland, etc.) déclarent des liens d’inégales importances avec différents laboratoires pharmaceutiques. Il ne nous importe pas de savoir s’ils sont exhaustifs ou non. Ils déclarent et Bellivier, notre futur délégué ne le fait pas. J’ai relu son texte pour vérifier. Lorsqu’il écrit en fin d’article : « Au contraire, le profil d’efficacité dans les épisodes dépressifs est très variable d’une molécule à l’autre, avec une spécificité qui se dessine en faveur de la quiétapine » il le fait en tant qu’expert indépendant ou en tant que chercheur lié à Astra-Zeneca ? On peut décider que la formule est prudente, peu affirmative, qu’elle l’engage peu. On peut aussi s’étonner.

Vraiment pas de liens d’intérêt ?

Il n’en a peut-être vraiment pas ?

Le 6 juin 2013, à Strasbourg, au Palais des Congrès, 111ème Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Française, qui voit-on intervenir au Symposium des Laboratoires Otsuka, entre 11h45 et 13h15 ? Le Pr. Bellivier lui-même sous le titre : « Valeur pronostique et fonctionnelle de la symptomatologie résiduelle dans les troubles bipolaires »

Oh oh ! Il aurait donc tu ses liens avec un laboratoire ? Quelle confiance lui accorder ? Comment les usagers très sensibles à ce genre de cachotteries vont-ils réagir ?

En fait si, un peu mais pas beaucoup

L’encéphale est une revue sérieuse et un peu austère. Notre futur délégué écrit dans l’article : « Déficits cognitifs des troubles bipolaires : repérage et prise en charge » (L’Encéphale (2012) Supplément 4, S151-S154) : « F. Bellivier : Conférences : invitations en qualité d’intervenant (AstraZeneca, Bristol-Myers Squibb, Eli Lilly, Lundbeck, Otsuka) ; Conférences : invitations en qualité d’auditeur – frais de déplacement et d’hébergement pris en charge par une entreprise (AstraZeneca, Bristol-Myers Squibb, Eli Lilly, Lundbeck, Otsuka). Les liens sont reconnus en 2012 mais pas en 2013 ?

Un peu de transparence

Que dit la loi ? « Article L4113-13· Modifié par LOI n°2016-41 du 26 janvier 2016 – art. 115. « Les membres des professions médicales qui ont des liens avec des entreprises et des établissements produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur ces produits sont tenus de faire connaître ces liens au public lorsqu’ils s’expriment sur lesdits produits lors d’une manifestation publique, d’un enseignement universitaire ou d’une action de formation continue ou d’éducation thérapeutique, dans la presse écrite ou audiovisuelle ou par toute publication écrite ou en ligne. Les conditions d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’Etat. Les manquements aux règles mentionnées à l’alinéa ci-dessus sont punis de sanctions prononcées par l’ordre professionnel compétent. »

Franck Bellivier, clairement, ne la respecte pas toujours. On peut s’en moquer, considérer que l’on n’est pas concerné. Mais si on le fait, ça a du sens.

Chacun (ou presque, le fichier excel ne facilite pas la lecture) peut de toute façon s’en faire une idée en consultant la base de données publique « Transparence – Santé » qui précise, pour chaque type de lien d’intérêts (conventions, avantages en nature et en espèces et rémunérations), l’identité des parties concernées, la date, le montant, la nature de chaque avantage dès lors que le montant de l’avantage et de la rémunération est supérieur ou égal à 10 euros. Les informations contenues dans la base de données publique Transparence – Santé sont issues de déclarations réalisées par les entreprises. Elles sont mises à jour sur le site deux fois par an et y restent accessibles pendant cinq ans. Les entreprises sont responsables de l’exactitude des contenus publiés. Ainsi le 3 juin 2012, notre futur délégué a-t-il perçu une série d’avantages du laboratoire Servier : 124 euros de transport, 892 euros d’hébergement et 700 euros d’inscription à un congrès. Pas de quoi fouetter un chat. On est très loin d’une retraite chapeau. Qui se ferait acheter pour une somme aussi modique ? Même multipliée ?  Il n’empêche, ça fait tâche, ça alimente le doute.

Une nécessaire clarification

Un lien d’intérêt n’est pas un conflit d’intérêt. Lorsque l’on est un expert reconnu, il est difficile de ne pas avoir de liens d’intérêt avec les laboratoires pharmaceutiques. Ces liens n’aliènent pas forcément l’indépendance du chercheur. L’absence de transparence nourrit par contre toutes les interprétations. Le délégué interministériel à la psychiatrie qui est sûrement quelqu’un de très honnête, au vu des enjeux, ne doit pas prêter le flanc au soupçon. Eclairez-nous !!!

Dominique Friard

Printemps de la psychiatrie

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3 réflexions sur « Un délégué sans lien, ni conflit d’intérêt ? »

  1. Parfaitement d’accord, et content que notre article daté de 2015 dénonçant l’infraction à la déclaration des liens d’intérêts par 44 de nos plus éminents psychiatres, ait pu servir de source à ne partie de cet article.
    https://www.forumpsy.net/t954-liens-dinteret-44-psychiatres-en-infraction-a-la-loi
    Quel dommage que Neptune soit diabolisé par le « printemps de la psychiatrie » simplement parce que nous osons nous opposer à la psychanalyse, et à cette récupération de la cause des patients à son profit. Amicalement,
    François Lallemand, pour Neptune

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    1. Monsieur, le Printemps de la psychiatrie vous invite à sa prochaine réunion le 25 mai pour y présenter les activités de Neptune-forum psy (que peu d’entre nous connaissent) et vous permettre de découvrir notre mouvement. Par ailleurs l’auteur du texte vous transmet ce message :

      Cher Monsieur, 
       Je ne risque pas de diaboliser une entité que je ne connais pas. J’ignore vos combats et suis ravi de constater que nous en partageons certains. Vous êtes contre la psychanalyse c’est votre droit. Vous n’êtes pas le seul, même si nul n’a jamais fait une psychanalyse sous contrainte, enfermé dans une chambre et attaché à son lit. Nul n’a jamais eu non plus une injection de psychanalyse imposée par 4 mastards. Je ne suis pas psychanalyste mais infirmier. Donc en dehors de ma liberté de penser je n’ai rien à défendre de ce côté-là. Et je suis parfaitement clair concernant les usagers : nul ne peut les représenter qu’eux-mêmes.
      J’ai découvert votre travail sur Internet et j’en ai apprécié la qualité. J’étais déjà bien avancé dans ma recherche autour des liens d’intérêt de Bellivier. Votre enquête confirmait la mienne et allait même beaucoup plus loin car plus étendue. J’ai hésité à vous citer mais la qualité esthétique du site m’a donné à penser que vous aviez quelques moyens. C’est idiot, je le reconnais, mais je me suis demandé s’il ne s’agissait pas d’un site de scientologues. J’ai eu manifestement tort et vous prie de m’en excuser. Je serai ravi de vous rencontrer à l’une des réunions du Printemps. 
      Cordialement,
      Dominique Friard
       

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      1. Merci Dominique Friard pour cette réponse précise.

        Moi aussi je vous connais un peu par vos écrits qu’en général j’apprécie, et je vous ai longtemps cru rédacteur en chef (ou équivalent) de la revue « Santé Mentale ».

        Pour mieux nous connaître, dans un premier temps le lien « Qui sommes nous ? » répond à ce doute sur la scientologie que vous n’êtes pas seul à avoir eu. Aussi dès notre création en 2013 nous avons attaqué la scientologie par un article public. Ensuite, il fallut un certain temps pour que nous comprenions l’effet pervers de la psychanalyse sur le soin, que nous puissions démystifier les différences entre parole et écrits d’une part, et actes d’autre part, à propos de la psychothérapie institutionnelle. Ce serait une longue discussion. Nous en sommes arrivés à la conclusion que dans le domaine psy, les ignorances sont telles dans toutes les écoles, que les écoles les plus nocives pour nous sont celles qui sont imprégnées de l’impression de détenir une vérité. Que ce soit la neuropsychiatrie qui est tellement balbutiante que sur le terrain, seule la médication et la contrainte sont pratiqués, que ce soit la scientologie bien évidemment, mais aussi la psychanalyse. C’est à cause de cette prétention à détenir la vérité (que »thérapeutique » les faits contestent) que la psychanalyse a gelé justement la recherche de vérité, comme le fait toute secte et toute religion. Si elle n’était qu’un mouvement d’opinion et non une pratique, il suffirait de l’ignorer. Mais le problème est qu’elle est opérante dans les universités et les hôpitaux. Et lorsque vous croyez intimement à oedipe et autres théories de sexualité infantile et de mère néfaste (pour faire court), cela finit par se ressentir sur les pratiques de toute la profession, y compris les psychiatres non psychanalystes, mais psychanalytico-compatibles, c’est à dire les psychiatres tolérant l’existence d’hypothèses différentes de leur approche scientifique, tolérance qui s’explique par la reconnaissance du faible niveau de la science, et donc résulte en un non refus d’autres approches. Par comparaison, en astrophysique on accepte toutes les hypothèses sur la nature et les conséquences des trous noirs tant qu’on n’est pas en mesure de démontrer que l’une d’elle est valide.

        Peu de gens savent, en outre, que l’idole Jean Oury pratiquait les électrochocs sans anésthésie, au domicile des patients, et qu’il protestait contre l’interdiction qui lui a été faite de poursuivre cette pratique lorsqu’il créa La Borde (il l’écrit lui-même). Les électrochocs sont « efficaces car le patient est en recherche de la punition paternelle » peut-on lire de la part de psychanalystes. Et le sakel, etc. Peu de gens savent que Félix Guattari fut, comme nombre de psychanalystes, défenseur de l’inceste voire pratiquant lui même de la pédophilie. Et tant d’autres choses qui montrent que non, décidément non, nous ne pouvons soutenir les « révoltes » de ces gens là contre le système en place, contre lequel nous sommes également révoltés. Par comparaison, lutter contre le capitalisme ne justifie pas d’adhérer au stalinisme. C’est un résumé que je peux amplement étayer.

        Lorsque nous avons été l’objet d’une première tentative de récupération par le « collectif des 39 », sous tendue par l’idée qu’avoir l’appui d’une association de patients serait bénéfique au mouvement, et appuyée par le fait que nous citions en exemple les HP tenus par la psychothérapie institutionnelle, ce que nous continuons de faire pour le seul fait que la contention y est aboli pour 2 d’entre eux, nous avons commencé à dialoguer mais ce fut un désastre de paternalisme, de verticalité, de « avez vous lu Freud ?? », de mépris.

        Il est donc hors de question aujourd’hui d’être instrumentalisés par un mouvement dont les motivations réelles sont le maintien voire le développement d’une croyance qui a abouti indirectement à prolonger et faire perdurer la maltraitance en HP d’une part, qui détruit tant de familles lorsqu’une expertise judiciaire fait recommander au juge l’éloignement maternel et le placement d’enfants (le coût en France des placements abusifs s’élève à des dizaines de milliards d’euros, comparable au prix du système hospitalier en médecine somatique !) et autres horreurs.

        Le simple fait de venir à votre rencontre du 25 mai, serait ensuite utilisé dans les communications du « printemps de la psychiatrie » comme une caution de notre association, au même titre qu’une autre association prétendument de patients mais en fait de psychanalyste, fait croire un temps au public que les patients s’associent à ce mouvement. Comme le disait André Bitton président du CRPA à propose du printemps de la psychiatrie (sa déclaration est sur le site du CRPA) « Non à la cheptellisation des patients par le printemps de la psychiatrie ». Si je viens à cette rencontre, c’est pour démolir, et il y aura des incidents et des excès verbaux qui dans ce genre de meeting dépassent les pensées, et mon intention est plutôt dans le dialogue et dans l’argumentation même vive.

        Avec toute ma considération pour vous, Dominique Friard, mais avec très peu de considération pour ce mouvement « printemps de la psychiatrie ».

        François Lallemand, président de l’association Neptune

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