Intervention de Delphine Glachant, le 11 mars 2022, Assises citoyennes du soin psychique.

DE LA DESTRUCTION DU COLLECTIF DE SOIN A LA DESTRUCTION DE LA PENSEE

Depuis septembre 2021, nous nous sommes réunis quasiment tous les dimanches. Nous étions une trentaine de personnes. Ça a été parfois houleux, on ne s’est pas toujours compris, on a défendu nos choix, on a ri et on s’est accrochés, on a tenu.
Maintenant nous sommes là. Alors qu’est-ce qui nous y a mené ? La nécessité, depuis 4 ans, suite aux grèves de 2018, de se regrouper pour lutter contre la dilapidation de la psychiatrie. La casse de l’hôpital public, sur laquelle on a maintenant les yeux bien ouverts, avait déjà bien commencé.
Je travaille dans un centre hospitalier spécialisé de petite taille, composé de 5 secteurs de psychiatrie.
Je suis psychiatre, praticien hospitalier à temps plein. Les 2/3 de mon temps sont consacrés à l’hospitalisation, un tiers à la consultation au CMP.
J’ai voulu vous parler de mon quotidien en équipe et des conséquences désastreuses des politiques publiques sur le travail que l’on fait jour après jour et sur les soins que l’on apporte aux patients.
Le soin psychique nécessite un travail de la pensée. Je vais tâcher d’expliquer en quoi la destruction du collectif de soin amène à la destruction de la pensée, et donc du soin.
Au fil de ces lignes, je citerai quelques mots entendus ici et là au sein de mon service, que j’ai appelés brèves de service, en ayant pris la peine de changer les prénoms…. Sait-on jamais.

« Allo tu peux venir faire un PCR ? ». C’est ce que ma collègue médecin généraliste à l’hôpital psychiatrique s’entend dire ce matin-là de janvier, comme bien des fois quand elle répond au téléphone. Elle en a assez. Elle dit sa furieuse impression d’être devenue prestataire de service dans une crise covid qui dure depuis deux ans et dans un hôpital exsangue.
Ce médecin travaille deux jours par semaine à l’hôpital psychiatrique, un choix pour elle qui est aussi urgentiste. D’un lieu à l’autre elle entend la même chanson. Des gens qui râlent parce qu’ils en ont marre, parce qu’ils sont fatigués, parce qu’ils sont en sous-effectif. « Salut ça va ? » « Non ça va pas. Ce matin on est moins 2. » Traduction : il manque deux infirmiers par rapport à l’effectif programmé. L’ ambiance est plombée, de partout.
Ce matin-là, dans le service où je travaille, on râle aussi, comme souvent en ce moment. Nous, au niveau des psychiatres, on est juste moins un. Il manque un psychiatre sur trois pour l’unité d’hospitalisation. En mettant nos temps bout à bout, ça fait 13 demi-journées, 1,3 Equivalent Temps Plein pour trente patients. C’est peu. Du côté infirmiers, ils sont moins 4 en extrahospitalier, moins 7 en intra (-3 de jour et -4 de nuit). En septembre prochain, vu les départs prévus, sur l’effectif infirmier total de 41 personnes, il manquera 9 infirmiers de jour et 4 de nuit.
Ça finit par faire beaucoup de moins.
Vous remarquerez cette façon de dire comme on est diminué. Au même moment, on entend parler d’un projet de psychologues N+1. Il y a donc aussi des augmentés, en position d’autorité bien sûr, comme dans les boites privées. C’est curieux comme au moment où on se soucie de faire de la place aux catégories désignées comme inférieures ou minoritaires – les femmes, les racisés, les non hétéro…, dans un souci d’égalité, se déploie une verticalité du pouvoir, une toute puissance autoritaire, consubstantielle au capitalisme néolibéral dont Jupiter est la parfaite illustration. Les rapports hiérarchiques ont encore de beaux jours devant eux.
Ces hiérarchies, et ces aspirations à être dans les lieux du pouvoir, qui ne sont pas nouvelles, permettent que l’hôpital – entreprise se mette en place tranquillement, sans que presque personne ne moufte, avec ses logiques gestionnaires et son management destructeur. Les soupirants sont nombreux à vouloir se faire aimer du prince, que ce soit à l’échelle de l’établissement ou à l’échelle du ministère. J’en vois de nombreuses illustrations par mon activité syndicale.
Pour revenir au terrain, la question des manques d’effectifs est cruciale. C’est en train de déconstruire le travail d’équipe et l’entité « équipe de soins » en elle-même, qui est LA condition sine qua non des soins.
Ca fait un moment que ça dure, bien avant le Covid. Il y a plusieurs années déjà, il y avait déjà eu le logigramme organisant la répartition des infirmiers surnuméraires (c’est-à-dire au-dessus de l’effectif minimum de grève !) dans les différents services afin de remplacer les absents.Ces derniers mois, l’hémorragie a été telle, que ce soit en raison de départs de soignants mais aussi en raison d’arrêts et accidents de travail que les trous sont devenus béants et « le redéploiement des effectifs soignants » a été organisé.
Qu’est-ce que cela signifie  ? Cela signifie que les infirmiers de l’extrahospitalier qui dépassent l’effectif minimum ont du aller travailler à l’hôpital, laissant au passage en plan leur travail habituel : le suivi des patients, les groupes etc. Or leur travail, c’est de soigner des personnes dont la continuité d’exister est toujours fragile ! Et particulièrement dans cette période de pandémie, où tout un chacun a pris conscience, plus encore que d’habitude, qu’il était mortel. Annuler un rdv, annuler un groupe, ça n’est jamais anodin. Et la continuité des soins est la base même de la psychiatrie de secteur.
Dans cette réorganisation, les infirmiers redéployés savent normalement quelques jours avant dans quelle unité ils vont aller travailler mais parfois ça se produit à la prise de service, voire même quand les transmissions ont déjà commencé. Ce qui leur donne tout simplement l’impression d’être un pion, un bouche-trou.
Non seulement c’est désastreux pour les prises en charge des patients, avec qui la continuité de la relation est absolument nécessaire, mais c’est également désastreux pour les professionnels eux-mêmes qui se retrouvent dans des unités qu’ils ne connaissent pas, avec des collègues qu’ils ne connaissent pas, à s’occuper de patients qu’ils ne connaissent pas. Un jour Françoise me dit « on va d’un service à l’autre. On est comme des gourdasses. On a l’impression de ne servir à rien ou de ne plus rien savoir faire ». Une autre infirmière de l’extrahospitalier, référente club, est venue travailler 5 jours d’affilée en intra, sur 5 unités différentes.
Une autre : « en allant travailler dans cette unité j’ai eu l’impression de  consacrer toute mon énergie à tenir les murs », tellement elle avait le sentiment que ça s’écroulait.
L’équipe est fragilisée. Violaine par exemple, dit « je n’ai plus l’impression d’appartenir à une équipe ».
Alors on s’en rend vite compte : cette valse des soignants n’a rien d’entrainant, elle est démobilisatrice et destructrice du collectif.
Les arrêts des uns et des autres, aussi légitimes soient-ils, sont un gros facteur de démobilisation dans le travail et du sentiment de ne plus faire équipe. Cela a été montré dans des études faites au Québec. Quand un ou une infirmière s’arrête, les autres font corps, s’entraident. Quand c’est une 2e, puis une 3e, l’esprit de solidarité se fissure car celui ou celle qui avait pris sur lui de venir travailler sur son repos finit par se dire « moi aussi je suis fatiguée ». Il commence à en vouloir progressivement à ses collègues qui s’arrêtent . « Pourquoi je travaillerais plus ? ». C’est humain, c’est normal. On demande aux personnels de santé d’être surhumains.
Plus encore, on leur demande d’être des robots et de fait, c’est ce qui se passe. Les uns et les autres sont de plus en plus pressés comme des citrons, les tâches s’enchainant. Roland Gori a très bien expliqué cette taylorisation du travail à l’œuvre dans nombre de métiers, dont ceux de la santé. Disparition de l’interstitiel, des échanges informels. Moins de temps à ne rien faire aussi. Avec les patients, entre collègues. Moins de temps pour parler de choses et d’autres. D’ailleurs en ce moment les gens se parlent beaucoup moins, même pendant les pauses. Certains sont dans un retrait dépressif, d’autres dans leur portable.
C’est important ne rien faire. Juste être là. Vivre le même instant ensemble. C’est fondamental dans les soins, ce travail sur l’ambiance. Un travail non valorisable, et c’est sans doute pour cela qu’il nous a été volé par ceux qui comptent tout.
L’identification collective à une équipe est nécessaire, mais aussi à un lieu de soin, à un service, à une méthode de travail. Et si nous n’avons pas un objectif commun, ça ne fonctionne pas. Alors bien sûr, ça peut se travailler au sein de chaque service par la dynamique propre de ce service mais c’est quand même très impacté par les injonctions que nous recevons.
Donc l’ambiance dans le travail s’en ressent beaucoup. C’est difficile de continuer à avoir envie de travailler dans ces conditions. Dans mon service, ça se voit dès la première réunion de la matinée. Les mines font trois mètres de long, les boutes en train ont perdu leur énergie. Nathalie dit « je suis trop fatiguée pour prendre mon café maintenant, il faut que je repose mon corps. Je le prendrai après. » Eh oui… les corps souffrent et s’épuisent.
Revenons à cette réunion du matin : moment essentiel où on se transmet des infos brèves, où on se parle des patients. Un des moments qui permet le travail collectif. Un moment qui nous permet de faire corps, tous statuts confondus. Infirmiers, aides-soignants, ASH, cadre, psychiatres, généraliste, assistant social, psychologue, artiste ou art-thérapeute, psychomotricienne. Pendant le premier confinement de la crise covid, cette réunion avait pris énormément de place. Nous étions ensemble pendant 1h30. Nous avions besoin de beaucoup nous parler. Actuellement, on n’arrive plus à la tenir comme avant. Les médecins attendent les infirmiers pour démarrer ; les infirmiers attendent les médecins qui sont toujours en retard. Les infirmiers ont le sentiment que les médecins ne mesurent pas le travail fait. Le climat est plus tendu. Parfois même, on zappe cette réunion car à force de s’attendre mutuellement, on ne se rencontre plus.Ce ne sont pas les seuls moments de travail commun qui ont disparu.
Depuis le début du covid, on fait beaucoup moins d’entretiens médecin /infirmier ensemble. L’organisation du travail a changé sans doute mais ce n’est pas la seule explication. C’est aussi le constat que nous arrivons moins bien à travailler ensemble. Nous sommes envahis par l’informatique. C’est d’ailleurs maintenant ce qui fait lien entre nous. « Tu n’es pas au courant ? Tu n’as pas lu les transmissions dans Cimaise ? ». Se parler est passé au second plan.
Nous sommes les uns et les autres terriblement abimés par ces changements de rythmes et de style qui nous sont imposés par des directives qui viennent de divers lieux (administration, justice)
Entendons-nous bien : la judiciarisation est importante, quand il s’agit de faire respecter les droits des patients. Mais quand il s’agit, comme c’est le cas, de nous ajouter des couches de travail administratif en plus, que ça sert de surveillance avec la sacrosainte traçabilité, ça vient juste empêcher de travailler et au passage disqualifier les soignants. Des instances tierces pouvant intervenir comme le fait le CGLPL sont à mon avis beaucoup plus efficaces pour les droits des patients. L’hôpital psychiatrique est un lieu où s’exerce le pouvoir et s’y déploient ses dérives, Foucault nous l’a suffisamment dit. Cela requiert une extrême vigilance et un travail permanent sur les équilibres entre pouvoirs et contre-pouvoirs.
Du côté médical, nous sommes de plus en plus isolés dans nos bureaux. Les médecins se parlent moins entre eux aussi. Et d’ailleurs, la communauté médicale existe-t-elle encore ? Les chefs de pôle sont déconnectés de la réalité du terrain, lâchent sans s’en rendre compte leurs valeurs originelles, passent du côté du réalisme comptable et se désolidarisent de leurs collègues, de tout statut.
Ça fait 13 ans que nous sommes sous le coup de la loi HPST, qui a apporté la création des pôles et le modèle de l’hôpital entreprise, et a ôté le pouvoir décisionnel de la CME. Plus récemment, les FIR, et autres FIOP organisant les projets pôle par pôle, si possibles innovants, ont majoré cette compétition entre les pôles.
La fusion des CTE et CHSCT va quant à elle affaiblir les personnels non médicaux face à une direction toute puissante.
Il y a une individualisation du travail. Pour les praticiens hospitaliers, le nouveau statut sorti en février 2022 vient le confirmer avec la possibilité d’aménager pour chacun la quotité de travail qu’il accordera au public et celle qu’il consacrera à son activité privée, y compris lucrative.

Pour revenir aux terribles conséquences sur les soins de la destruction du collectif de travail, que ce soit à l’échelle de l’établissement, d’un service, d’une unité, je voudrais rappeler l’extrême importance qu’il y a à mettre nos pensées en commun pour soigner la psychose. Pierre Delion nous le rappellera peut-être, le travail en constellation transférentielle est de la plus haute importance pour relier tous les bouts et rassembler un être dissocié. On le sait, chaque réunion de synthèse de ce type a des effets bénéfiques immédiats car elle transforme chacun d’entre nous et nous permet de renvoyer au patient une représentation plus unifiée de lui-même. Comment continuer à travailler dans ces constellations quand il n’y a plus de collectif de soin, quand des personnes manquent, s’arrêtent, viennent d’un autre service, quand les gens sont aigris, s’engueulent entre eux. Le manque de travail institutionnel faute de temps et d’équipe en place revient à se laisser traverser par tous les clivages projetés sur nous et à nous rendre moins soignants.
Cette destruction du travail d’équipe et des collectifs de soins n’est ni une conséquence du covid, ni un effet collatéral des restrictions budgétaires. C’est un but recherché par nos dirigeants, qui rejoint totalement les nouvelles orientations prises pour les soins psychiatriques et psychologiques. Il ne s’agit plus de penser la souffrance psychique de l’autre. Il s’agit de le rétablir au plus vite en colmatant les brèches, à coup de médicaments et de rééducation. Le remettre d’aplomb pour qu’il retourne vite à sa place, sans faire de bruit, dans la chaine de production et de consommation.
Alors pour finir je vais vous transmettre la réponse que m’a faite une personne de l’équipe de direction en CME après que j’ai expliqué en quoi le redéploiement des effectifs infirmiers était très préjudiciable aux soins. Elle m’a dit « ça suffit ! », de façon autoritaire.Alors moi aussi j’ai à dire ça suffit !
Ca suffit de maltraiter les gens, que ce soit les personnels et les patients.
Ca suffit de détruire la psychiatrie de secteur qui a pour mission d’accueillir et prendre en charge tout le monde.
Ca suffit de détruire l’hôpital public !

Delphine Glachant

Intervention de Pierre Delion, le 11 mars 2022, Assises citoyennes du soin psychique

Sortir de l’état catastrophique de la psychiatrie publique

1 . Etat des lieux

Toutes les luttes depuis des années ont fait ressortir de nombreux points de convergence utiles à rappeler. Tout d’abord, l’insuffisance des moyens pour la psychiatrie publique de secteur qui paye un lourd tribut aux évolutions technobureaucratiques récentes, et peine à donner des réponses congrues aux très nombreuses demandes adressées par les patients, leurs parents et leurs familles. Il est habituel de considérer qu’un médecin installé en libéral qui a une liste d’attente de plusieurs mois, est donc un médecin réputé. A contrario, les CMP des secteurs de psychiatrie dont la liste d’attente s’allonge faute de moyens en personnel pour y répondre sont eux considérés comme des équipes qui ne savent pas s’organiser, et de créer des postes de managers pour régler ces problèmes annexes….Cherchez l’erreur ! cette première constatation met en évidence l’inanité du new management, tel qu’il est promu sans aucune vergogne par les décideurs politiques, oubliant ses origines remontant à la seconde guerre mondiale, mises en lumière dans le livre de Chapoutot, « Libres d’obéir ». Il faudra encore longtemps, malgré les déclarations démagogiques entendues pendant la pandémie à ce sujet, pour que nos gouvernants comprennent vraiment que le service public de santé n’est pas une entreprise comme une usine de chaussures ou de boîtes de conserves, et que toutes les injonctions venant de cadres qui ne sont pas issus du monde du soin sont contre-productives. Imagine-t-on un chef d’orchestre qui ne serait pas musicien ? Ce new management n’a en réalité que l’idée fixe suivante : faire des économies sur les soins, et donc recourir à la pensée comptable comme boussole de cette restructuration à marche forcée des professions où la relation humaine est déterminante. Ces menées quasi-bureaucratiques s’appuie en outre sur de véritables impostures scientifiques, puisque les résultats (marqueurs génétiques, circuits neurophysiologiques, imagerie cérébrale démosntratives…) qui pourraient justifier le recours à de telles preuves sont toujours attendus. Il n’y a pas eu depuis l’invention des neuroleptiques et des antidépresseurs, de véritable révolution neuroscientifique qui permettrait de décréter que désormais, plus n’est besoin de recourir à la psychopathologie transférentielle. Bien sûr, les recherches ont fait de considérables progrès en matière de fonctionnement cérébral en général, et je m’en réjouis, mais ces avancées ne permettent absolument pas de dire ce qui se passe pour ce patient qui est là avec moi en consultation et pour lequel aucun moyen nouveau n’autorise à justifier la seule intervention neuroscientifique. D’ailleurs, il n’est que de voir le décalage entre les prétentions neuroscientifiques affichées dans le fonctionnement des services de psychiatrie et l’augmentation scandaleuse du nombre des contentions dans lesdits services pour constater le niveau élevé de l’imposture en question. Ce recours à la science sur le mode idéologique érige en vérité révélée l’importance de la protocolisation des pratiques. Ces nouvelles manières de vêtir le soin en psychiatrie de prêt à porter en lieu et place de costumes sur mesure en fonction de chaque patient est le résultat d’une généralisation des techniques rééducatives a priori, fortement encouragé par des lobbies de formations coûteuses, et qui laisse de côté tout le versant des approches psychothérapiques qui consiste à traverser l’expérience de la rencontre et à y réfléchir a postériori.

Tout cela aboutit à une catastrophe sanitaire en psychiatrie, pire que celle d’Orpea mais dont les décideurs se contrefichent parce que les malades ne sont pas tous prêts à défiler dans la rue et à influencer massivement les électeurs contrairement aux personnes âgées. Je crains que cela n’aboutisse à la constitution d’asiles périphériques reproduisant l’asile centralisé que nous avons connus avant la mise en place de la psychiatrie de secteur : la rue pour les non violents, la prison pour les agressifs devenant violents, les contentions et les services fermés qui définissent de nouveaux asiles « discrets » à la dimension d’une personne, la maltraitance du personnel soignant qui en est la conséquence directe, la robot-numérisation des rapports humains, avec le développement de techniques « modernes » en passe de se mettre en place (téléconsultations, attentes messianiques des avancées des neurosciences, applications autoéducatives transhumanisantes,…) qui en est le corollaire obligé.

2. Nécessaires articulations

De même que les constellations transférentielles sont capables de traiter les transferts dissociés, psychotiques, autistiques, des pathologies archaïques, en réunissant tous les partenaires du soin d’un même patient, il nous faut penser partenariat avec tous les autres relais du soin dans la cité, sur le mode des rapports complémentaires (rapports de décomplétude), tels que Tosquelles les a définis à partir des travaux de Dupréel. Il nous revient ainsi la tâche de développer et penser de nouvelles articulations institutionnelles. Par exemple pour l’autisme : éducatif toujours, pédagogique si possible et thérapeutique si nécessaire. De manière plus générale, il nous faut inventer des systèmes complexes pour accompagner de notre fonction phorique les patients présentant les pathologies les plus graves. Par exemple pour accueillir et soigner une personne âgée présentant des troubles cognitifs, une dépression et un diabète, nous devons réunir sur le mode de la constellation les professionnels dont elle a besoin et l’accompagner avec la famille tout le temps nécessaire.

De même avec les collègues issus d’autres modes de pratiques du soin, nous devons penser des articulations afin de sortir de ces apories successives du tout psychanalytique au tout neuroscientifique ou au tout comportemental.
Aujourd’hui, nous avons devant nous une urgence absolue, articuler neurosciences, psychopathologie transférentielle et socio-anthropologie pour répondre aux aspects biopsychosociaux de tout patient humain. Pour ce faire, nous ne pouvons avancer que si nous entrons dans une nouvelle logique de complémentarité.
Nous devons donc sortir des logiques qui nous gouvernent, celles du plus puissant, du plus fort, du plus savant, et entrer dans une autre logique, celle du collectif (Oury) dans laquelle tous ces éléments de connaissance sont articulables dans une complexité bien comprise.

3. Généralisation du concept de secteur

Il se trouve qu’en psychiatrie, un dispositif a rendu possible cette philosophie de travail, celui de la psychiatrie de secteur qui articulait autour de la nécessaire continuité des soins (dispositif installant la condition de possibilité du transfert) la palette des différentes formes du soin dans et avec le socio-anthropologique.
Si l’on revient aux fondamentaux, à savoir que la maladie mentale n’est pas une maladie aigüe, même si nous savons tous qu’elle peut conduire à des comportements qui en prennent l’apparence, mais une maladie chronique, regardons autour de nous les spécialités médicales où la chronicité est l’essence de la maladie.
Que voyons-nous ? beaucoup de maladies sont chroniques (diabète, rhumatologie, cancérologie, cardiologie,…).
Tosquelles disait souvent en plaisantant que la médecine est une branche de la psychiatrie. i
Ne pouvons-nous pas faire alliance avec nos confrères médecins, infirmiers et tous les autres, pour construire une nouvelle médecine qui prenne en compte ces évidences et rende à la médecine l’humanité qu’elle est en passe perdre ? Ne pouvons-nous pas généraliser le concept de secteur pour en faire la base de la santé publique en général, ce qui aurait pour effet de diminuer les urgences qui sont devenues bien souvent le signe d’une carence profonde de la médecine de la chronicité, de donner à la médecine une référence polycentrique et non plus seulement hospitalo-centrée, de permettre de véritables alliances entre pratiques publiques, associatives et privées au service des patients ?

Nous avons du pain sur la planche pour refonder une médecine digne de ce nom, dans laquelle la psychiatrie, plutôt que de continuer à incarner les wagons de queue se trouverait à devenir le paradigme d’une médecine à visage humain.

Pierre Delion

Mars 2022

Intervention liminaire de Serge Klopp, Atelier 6 des Assises du soin psychique 2022

Comment l’instrumentalisation des TCC déshumanise la psychiatrie : L’exemple de la Réhabilitation psychosociale1

Ce qui caractérise la psychiatrie actuelle c’est son caractère déshumanisant s’appuyant sur une caricature des neurosciences qui donneraient une caution scientifique à une utilisation détournée caricaturale des TCC2. La question qui nous est posée est celle de savoir si, comme l’affirment certains (dont j’ai fait partie), ce sont les TCC en soi qui sont déshumanisantes ou si c’est la manière dont on les instrumentalise en les caricaturant.

Pour cela je vais prendre l’exemple de l’instrumentalisation caricaturale de la Réhabilitation psychosociale, qui devient obligatoire pour tous les établissements sectorisés.

Comment en sommes nous arrivés là ?

Mais d’abord quelques éléments de contextualisation pour tenter de comprendre à quoi nous sommes confrontés.

Depuis 40 ans la psychiatrie de Secteur3 n’a cessée de s’appauvrir !

Ce n’est pas moi qui le dit c’est Véran en septembre 2021 sur France Inter.Cela l’a amenée à opérer au fil des ans des tris de plus en plus sélectifs de malades, renonçant ainsi à sa mission fondamentale qui est d’assurer la continuité des soins de prévention, de cure et de postcure et l’obligation de prendre en charge toutes les souffrances psychiques des plus graves aux plus bénignes.

Après avoir renoncé à la prévention, aujourd’hui, seuls les patients les plus malades sont suivis par le Secteur, les autres sont renvoyés vers un psychiatre ou un psychologue libéral s’ils en trouvent et peuvent le payer et le plus souvent vers le généraliste qui, faute de temps et de formation, se contentera le plus souvent de prescrire des médicaments.

Pour faire face à ces tris successifs, l’intérêt des TCC, pris en soi comme une technique opératoire et non comme une des modalités de la prise en charge au long cours des psychoses, serait de ne pas s’inscrire dans l’historicité du lien thérapeutique mais de s’inscrire dans l’ici et maintenant du symptôme.

Ils permettraient ainsi de ne pas suivre au long cours des patients jugés moins malades tout en donnant aux soignants le sentiment d’avoir fait leur travail.

Ça, ça intéresse les technocrates libéraux qui nous gouvernent dont l’objectif essentiel n’est pas de promouvoir le meilleur système de soins mais de réaliser le maximum d’économies sur les dépenses socialisées de santé.

C’est-à-dire celles issues de la Sécurité Sociale qui est financée par les cotisations salariales et patronales. Alors que les complémentaires ne sont financées que par les salariés et sont de moins en moins de véritables mutuelles mais de plus en plus des groupes financiers capitalistes dont l’objectif est de faire du profit sur le dos des assurés.

C’est important, parce que ce sont ces mêmes groupes qui sont propriétaires de groupes tels que Orpéa et dans notre domaine Clinéa.

Le Secteur doit renoncer à la continuité des soins et intégrer le parcours de soins.

C’est d’ailleurs Cléry Melin, propriétaire d’un groupe de clinique privé, qui avait été chargé d’un rapport en 2003, où il préconisait de limiter l’action du Secteur au dépistage et la mise en place d’un traitement avant de passer la main au généraliste ou au secteur libéral et au traitement de la crise.

L’idée c’est de séquencer la maladie entre périodes de crise et périodes de rémission. Ce qui à son tour permet de segmenter le suivi. Aux périodes de crise c’est la psychiatrie qui prend en charge, en période de rémission on passe la main au généraliste qui va renouveler le traitement tous les mois voire tous les 6 mois, avec éventuellement un étayage du social ou du médicosocial. L’intérêt de tout cela, on l’a compris, ce n’est pas d’améliorer la qualité de la prise en charge mais de réduire les dépenses de la Sécurité Sociale.

Et ainsi la psychiatrie intègre le parcours de soins, devient une spécialité comme les autres au même titre que s’il s’agissait d’une pathologie cardiaque.

Je rappelle tout cela parce que cela permet de comprendre à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui.

Et pour leur donner une caution scientifique il y a évidemment toujours quelques scientistes en mal de reconnaissance par leurs pairs de MCO4 comme étant de vrais médecins qui les soutiennent. Et bien entendu tout cela sous tendu par le travail de lobbying de la fondation Fondamental. Qui, ce n’est pas un hasard, est proche de l’Institut Montaigne, le thing-tank qui soutien Macron et élabore sa politique libérale.

Je dis quelques scientistes parce qu’ils ne sont pas si nombreux les psychiatres qui défendent réellement les thèses de Fondamental.

Par contre ils sont très influents au niveau des instances gouvernementales (ministère, ARS,…), de la H.A.S., ce sont leurs thèses qui nourrissent les programmes des étudiants infirmiers, comme des futurs psychiatres et ils sont très médiatisés.

Cela leur donne une position idéologique totalement hégémonique au point qu’on a l’impression qu’il n’y a pas d’autre possible.

Rares sont ceux qui dans les instances (CME, CTE, Conseils de surveillance,…) osent s’élever contre cette conception déshumanisante de la psychiatrie.

Depuis la Loi Touraine c’est devenu réalité. La psychiatrie n’est qu’une spécialité comme les autres et n’est censée s’occuper que de la crise. Le suivi des patients stabilisés relève dorénavant non plus du CMP, mais du parcours de santé et donc du médecin généraliste.

Si la volonté des technocrates est une chose, la réalité en est une autre. Et force est de constater que cela a du mal à se mettre en place.

Des usines en kit déshumanisantes pour exclure les patients stabilisés du suivi sectorisé.

Alors, nos technocrates, jamais en mal d’imagination, ont inventé une « usine en kit » pour exclure les patients stabilisés du dispositif de Secteur.

C’est la création de structures autonomes de Réhabilitation psychosociale dont l’objectif est de proposer à chaque patient stabilisé un parcours de soins individualisé.

Sur le papier cela à l’air génial. On se dit qu’on va avec ce dispositif tenir compte de la singularité de chaque patient, de ce qui fonctionne bien dans sa prise en charge, de ce qui est plus compliqué en tenant compte de l’histoire et de la psychodynamique propre à chacun…

Eh bien pas du tout !

Il s’agit au contraire de formater le symptôme, de normaliser le comportement, sans tenir compte de ce que ressent le patient, pour lui trouver la case adaptée au moindre coût, comment ?

L’exemple de la Corrèze.

Je propose de partir du projet pour la Corrèze que m’a transmis la fédération CGT5 :

L’organisation globale a pour objectif d’étoffer l’offre de soins au plus près de l’usager et favoriser un parcours des usagers plus fluide et de proximité. Déjà on considère que le Secteur n’est pas la proximité alors que celle-ci est l’un des fondement de la philosophie du secteur

Cette organisation se décline en plusieurs étapes : – Une procédure d’évaluation en amont de la mise en place d’un projet de soins de réhabilitation – Une évaluation réalisée par un neuropsychologue par un entretien clinique, la passation de tests (test d’efficience intellectuelle, test d’évaluation des fonctions cognitives) et une restitution du bilan neuropsychologique – Un entretien avec le médecin psychiatre lors de la visite de pré admission – Un entretien avec un infirmier afin d’évaluer la gestion de l’autonomie, la connaissance de la maladie et du traitement – Un entretien avec un ergothérapeute et bilan – Un entretien avec une assistante sociale A l’issue de ces évaluations, ces dernières permettent d’établir les premiers axes du projet individuel du patient dans l’objectif de construction d’un programme de soins et d’accompagnement individualisé, qui sera régulièrement suivi afin d’être adapté au plus proche des besoins des patients.

On voit bien que lorsqu’ils parlent de projet individuel de soins dans l’objectif de construction d’un programme de soins et d’accompagnement individualisé, le suivi du Secteur que ce soit en CMP ou en CATTP est exclu de cette construction. On parle d’accompagnement individualisé mais cet accompagnement commence par la rupture des liens thérapeutiques qui se sont tissés au fil de l’accompagnement du Secteur.

Mais tout cela demande des moyens, on va donc transformer des structures du Secteur soit 15 lits d’hospitalisation complète, 10 places d’HDJ 13 appartements thérapeutiques et les 40,1 ETP qui y sont affectés en un dispositif de Réhabilitation psychosocial non sectorisé comprenant 13 lits d’hospitalisation complète, 20 places d’HDJ, 7 appartements thérapeutiques, un CATTP itinérant et un CMP avec équipe mobile et en tout 37 ETP.

En réduisant de manière aussi importante les moyens du Secteur il est évident que celui-ci ne pourra plus assurer les suivis au long cours qu’il mène jusqu’à présent.

Et au passage l’ARS récupère 3,1 ETP, comme on sait il n’y a pas de petites économies.

Mais tout ça pour quoi faire ? et ainsi l’on a la garantit que cela coûtera moins cher à la Sécurité sociale mais à quel prix humain ?!!!

L’organisation se traduit également par des modalités de soins et d’accompagnement comme suit : – Programmes d’éducation thérapeutique, – Programme d’accompagnement des compétences sociales, – Programme de remédiation cognitive – Des thérapies cognitivo-comportementales Enfin, l’organisation prévoit des modalités de réévaluation de la situation des usagers, en associant le patient en tant qu’acteur de son parcours de soins.

On parle de patient acteur de son parcours de soins, alors qu’en fait de soins il s’agit de le programmer comme s’il s’agissait d’une machine à laver ou d’un ordinateur défectueux qu’il faudrait reprogrammer.

C’est d’autant moins du soin que cela passe par la rupture de tout le suivi ambulatoire du Secteur de référence, ce n’est pas un complément qui vient s’articuler aux soins ça se substitue au soin.

Là on est vraiment dans la rupture de la continuité du soin qui est l’un des autres fondements de la philosophie du secteur et d’une psychiatrie humaine.

LE DOSSIER D’EVALUATION L’organisation décrite supra envisage, dans chaque étape, une évaluation individuelle proposée par les professionnels concernés, associant le patient y compris sa famille si cette volonté est exprimée, mais également les aidants familles et/ou aidants tutélaires, les services adresseurs, les partenaires sociaux et médico-sociaux et familles d’accueil. L’évaluation est quotidienne et tracée sur des grilles d’évaluation personnalisées, en fonction des objectifs de la personne.

Là encore on est dans l’objectivation du comportement. Les soignants n’ont pas à exprimer ce qu’ils observent subjectivement au niveau du ressenti du patient et à l’analyser, ce qu’on appelle la clinique. Chose que l’on peut faire à condition d’établir une relation avec le patient. Ils ont à remplir une grille.

Ceux-ci sont déterminés lors de la construction du parcours de soin avec l’usager.

Avec l’usager mais à condition qu’il ne demande pas à pouvoir continuer son atelier « théâtre » au CATTP !

Une réunion de synthèse pluridisciplinaire a lieu une fois par semaine à l’hôpital de jour. Après un mois d’hospitalisation de jour, une synthèse est réalisée. Elle est préparée en amont avec l’usager et son référent. Un bilan de fin de prise en soin est réalisé avec l’usager et les partenaires relais identifiés dans le parcours propre au patient.

Pour qu’il y ait le moins de risque possible qu’une relation singulière se tisse entre le soignant et le patient, on va de toute façon limiter impérativement cette programmation à un mois.

Une réification des acteurs qui conduit à leur aliénation sociale

Dans cette présentation on voit bien combien le patient est rabattu à son symptôme qu’il faut éradiquer, à son comportement qu’il faut normaliser.

Combien il est chosifié, réifié, déshumanisé, malgré tous les éléments de langage qui visent à faire croire qu’au contraire on redonne au patient non seulement une place de sujet mais de citoyen.

Mais les soignants aussi sont chosifiés, réifiés, déshumanisés.

Puisqu’il n’est plus que l’opérateur de la procédure, le programmeur mais qui n’a pas de prise sur le programme qu’il doit mettre en œuvre.

C’est une négation de toute capacité à tenir compte de la singularité de toute situation. C’est une négation radicale de ses compétences cliniciennes.

Au-delà de ces structures de Réhabilitation psychosociale, on sens bien que cette conception déshumanisée du soin va contaminer tous les espaces de soin y compris ceux du Secteur.

Cette réification des patients et des soignants, n’est pas neutre, cela a des effets sur les personnes.

Cela revient à aliéner la personne au sens de l’aliénation sociale de Marx. Aliénation sociale qui peut se traduire par une aliénation mentale, c’est ce qu’a développé tout le courant de psychiatres marxistes (Bonnafé, Le Guillant, Folin, Tony Lainé, Tosquelles,…) autour de la sociogenèse et de la sociothérapie. Et qui depuis l’effondrement du Bloc de l’Est et du communisme de caserne à disparu de l’avant scène alors que cela aurait du lui donner un nouvel élan.

Les conséquences sociales du Covid vont certainement nous obliger à y revenir.

Mais pour le moment on a l’impression que rien ne peut empêcher cette entreprise déshumanisante, excluante au nom de l’inclusion.

Pratiquement aucune voix ne vient s’y opposer.

Nous avons même dépassé le stade de la servitude volontaire qui selon La Boétie consiste à accepter les conditions de sa servitude parce que l’on ne sait pas comment ce serait si on s’en libérait et que la servitude du coup nous rassure alors que vouloir en sortir nous angoisse. C’est ce qu’on observe dans toutes les positions victimaires qui a mène à se complaire dans la plainte plutôt qu’a agir pour en sortir.

Là c’est comme si on ne voulait plus voir, plus réfléchir aux conséquences de ce qui se met en place dans chacun de nos établissements.

Cela montre combien nous sommes déjà aliénés.

Pour ce courant de la sociogenèse, il est indispensable de désaliéner les soignants, si l’on veut désaliéner les patients. De même que puisqu’on est encore près du 8 mars, on ne peut désaliéner la classe ouvrière si on ne désaliène pas la femme qui comme disait Marx est la prolétaire de l’ouvrier.

Cela signifie que si on veut combattre ces usines à déshumaniser le soin et les personnes, cela passe par l’intervention des acteurs eux même.

Et pourtant, pour en avoir discuté avec eux, certains soignants considèrent qu’aujourd’hui l’équipe de Réhabilitation psychosociale est le dernier lieu de leur institution où l’on fait encore du soin relationnel.

Sont-ce les TCC qui sont déshumanisantes ou les objectifs qu’on leur assigne ?

Mais alors est ce la technique du comportementalisme en soi qui est déshumanisante, ou la manière dont on l’instrumentalise dans un but particulier ?

La Réhabilitation psychosociale entraîne t-elle toujours et automatiquement cette déshumanisation ?

Et si non est ce uniquement le fait de l’utiliser sans l’articuler à d’autres modalités de soin psychique (psychothérapie de référence analytique, sociothérapie,…) ?

Si c’est le cas, peut on dans un premier temps empêcher cette opération excluante en tentant d’y inclure de la relation de manière subversive ?

Ou est ce impossible ?

Cette question de la déshumanisation du soin au nom de l’efficacité de la technique et des soins standardisés se pose également à tous les champs de MCO. Et de nombreuses voix viennent s’opposer à cette standardisation déshumanisante des soins parce que la qualité des soins y compris en MCO est indissociable de la relation soignant/soigné qui doit primer sur la technique.

Un début de réponses

Le débat très riche qui a suivi a permis de commencer à apporter des réponses.

Il a permit d’une part à lever des incompréhensions voire des idées fausses concernant la neuropsychologie. Puisque contrairement à l’idée dominante, la neuropsychologie n’est pas du tout associée aux TCC. Par ailleurs les témoignages de nombreux infirmiers pratiquant la Réhabilitation psychosociale ont tous démontré que la manière dont elle se mettait en place en Corrèze n’a rien à voir avec la théorie qui sous tend habituellement cette pratique. Particulièrement dans le fait que la durée d’un programme peut être prolongée, que les éléments de subjectivité relationnelle ne sont pas censurés au contraire et que l’objectif ne saurait être la rupture du suivi thérapeutique par l’équipe de Secteur. Il ne s’agit pas de normaliser les comportements, mais d’aider chaque patient individuellement. Que cette organisation qui se mettait en place constituait selon eux non seulement une caricature mais un détournement de leur technique.

Par contre l’un des intervenants a fait état d’une personne venue évaluer son équipe qui a conclu que leur pratique n’était pas adéquate, alors qu’ils font exactement ce que préconise la théorie qui sous tend la réhabilitation psychosociale.

Cela montre bien qu’il ne faut surtout pas considérer les équipes qui pratiquent cette technique comme des adversaires du soin psychique à condition qu’elles ne fassent pas primer la technique sur la relation. Mais que leur instrumentalisation généralisée va les mettre en difficulté et risque de les soumettre à cette aliénation réifiante évoquée précédemment. Il est au contraire indispensable de les soutenir et les aider à résister à cette opération déshumanisante d’exclusion de masse des patients du suivi sectoriel.

Cela passera par un travail de chacun, soignant, patient, population pour permettre la prise de conscience de cette opération qui ne se met que rarement en place à visage découvert.

Serge Klopp

1 Ce texte reprend le propos introductif et des éléments du débat qui en a suivi, à la 2ème séance de l’Atelier « Quelle approche de l’humain » des Assises du soin psychiques qui se sont tenues les 11 et 12 mars 2022 à l’appel du Printemps de la psychiatrie, de l’Appel des appels et du collectif des 39

2 TCC : Techniques Cognitivo Comportementales

3 Depuis 1960 le Secteur constitue un maillage couvrant tout le territoire assurant à chaque citoyen l’accès aux soins de prévention, de cure et de postcure ainsi que leur continuité.

4 MCO : Médecine Chirurgie Obstétrique

5 Je mets en italique les extraits du document adopté par l’ARS.

Atelier 2 : Formation-Transmission

Argument de l’atelier Formation-Transmission

Comment résister à la réduction et la destruction des formations et continuer à transmettre les savoirs pratiques, tout en ouvrant la voie de la réinvention permanente ?
Formation universitaire, formation continue sur le terrain, pour une meilleure articulation avec les pratiques. (En lien avec les CEMEA)

L’animation de l’atelier, qui a été imaginé de façon hétérogène, témoignera de la transversalité et de son caractère vivant. Éducateurs, formateurs CEMEA, infirmiers, internes en psychiatrie, psychiatres, psychologues, pour certaines enseignantes universitaires, lanceront des questions et des débats en partant d’expériences de terrain ou de points d’actualité. Le tout s’engagera dans un mouvement de type « assemblée générale », afin de favoriser les échanges entre tous les participants.
Les lieux de formation (écoles, instituts, universités, etc.) ont aujourd’hui à répondre au risque d’une uniformisation et d’un cloisonnement de pratiques réduites à des applications technicistes de savoirs et de techniques. À titre d’exemple, les psychologues se soulèvent, au travers de leurs mouvements actuels, contre le formatage de la profession et la volonté étatique d’uniformiser leurs pratiques sur un mode réductionniste. Cela vaut également pour les formations universitaires qui, depuis plusieurs années, se trouvent bouleversées. Les questions posées par ce mouvement cristallisent une crise transversale à tous les métiers du soin psychique. Dans la formation continue aussi, certains mots sont devenus interdits comme le « transfert », voire même la « relation ». La fonction psychothérapique de chacun dans les collectifs soignants a bien du mal à être reconnue et valorisée. Elle demeure, pourtant.
Un petit groupe de jeunes « psychistes » a pris part aux réunions préparatoires, posant des questions transversales que notre groupe de préparation a fait siennes. Notre pratique au quotidien avec les patients et les collègues, autour de la clinique et de l’institution, vient rendre visible « tout ce qui ne va pas de soi » et génère des questions plutôt que des réponses. Nous nous demanderons ce qui nous a servi dans nos formations, mais aussi ce qui nous a manqué. Beaucoup d’éléments nous forment, mais ne font plus partie des programmes « officiels », ou sont directement attaqués, notamment en ce qui concerne les sciences humaines – essentielles. Le plus important demeure la rencontre avec les patients. Dès lors, quelles stratégies mettons-nous en œuvre pour subvertir nos pratiques et, surtout, pour qu’elles demeurent des pratiques soignantes ?

Il nous semble important d’inventer des formes nouvelles de transmission et de préserver celles qui se trouvent mises à mal ; important aussi d’en témoigner : revues, colloques et conférences, groupes de lecture et d’intervision, mais aussi constellations thérapeutiques, clubs soignants-soignés, etc. : cartographier et localiser les combats et les façons de faire, ainsi que les stratégies, qui supposent parfois de ruser avec les modèles suggérés voire avec les normes imposées et protocolisées.
Dans la praxis du quotidien, il est des moments de tension où l’on recule devant nos idéaux, parce qu’il faut composer avec la réalité institutionnelle ou clinique du moment, ou pour d’autres raisons, plus opaques. En effet, comment et dans quels espaces accueillir ce qui nous met mal à l’aise et nous dé-range ? Comment accueillir et entendre quelque chose de nos passages à l’acte et de nos symptômes ?
Si nous accordons foi à notre corpus théorique (qu’il s’agisse de la psychanalyse, de la psychothérapie institutionnelle ou d’autres approches tenant compte elles aussi de la singularité de l’humain comme de la dimension politique de l’accueil), alors, comment actualiser nos praxis et les rendre désirables, en dépit des résistances massives que nous rencontrons ?
Il nous semble important que les Assises soient aussi un espace de transmission des récits cliniques : de la clinique du sujet, du collectif, et de la vie quotidienne.
Enfin, comment la transmission peut-elle être elle-même « accueillante », et ne pas ressembler à une liste des bonnes pratiques moralisatrices ou culpabilisatrices ? Sans doute la transmission tient-elle au fait de partager, d’élaborer la difficulté et le plaisir du travail, ceci en mettant au centre l’embarras et sa traversée, afin de favoriser des transformations, lentes, mais des transformations quand même…  
Que les Assises deviennent en soi un lieu de représentation concrète de l’archipel des résistances créatives ou des créations résistantes, afin de lancer de nouveaux élans de désirs collectifs !

Atelier 5 : Quel accueil pour la souffrance psychique?

Quel accueil pour la souffrance psychique ?

Isolement et contention : comment faire autrement ?

Le but de cet atelier vise à penser ensemble les pratiques de contention et d’isolement tant du point de vue des soignants, des patients que des familles. Et puis d’en dégager des propositions porteuses d’autres manières de faire pour apaiser les patients accueillis et soignés.

C’est la spécificité de notre association que de réfléchir et d’agir depuis ces places différentes pour porter des propositions communes afin de :

  • Faire entendre la spécificité de la maladie psychique.
  • Élaborer et porter des propositions auprès des professionnels de santé et des Institutions.
  • Défendre une approche plurielle et humaniste de la folie
  • Abolir la contention

Avec le Collectif des 39, Le Fil Conducteur Psy a rencontré Adeline Hazan en 2015 (CGLPL), puis été auditionné dans le cadre du rapport Laforcade et au Sénat. Nous avons faire circuler une pétition pour l’abolition de la contention après celle du Collectif des 39. Nous sommes dans le travail d’écriture et de réécriture d’un fascicule sur la contention et l’isolement.

Nous avons également écrit un article intitulé Crise et misère de la psychiatrie paru dans VST où nous montrions le lien paradoxal entre la déstigmatisation du handicap psychique dans une société dite inclusive et les pratiques de contention destinées à ceux que leur folie laisse sur les bords : quand les impératifs sécuritaires et gestionnaires imposés au système hospitalier déshumanisent le soin et trouvent leur traduction dans la banalisation de pratiques peu respectueuses des personnes.

Parce qu’il nous faut penser ensemble ce qui nous arrive, à nous, soignants, patients, familles, l’atelier procèdera par échanges d’expériences et de savoirs, ou d’interrogations et de discussions autour de la contention et du soin psychique.

Nous nous interrogerons sur l’usage de la contention, sur les modalités des pratiques de cette mesure, sur ses justifications, sur la nécessité ou la possibilité d’un moindre recours, sur les conditions de possibilité de faire autrement et de proscrire la contention.

L’usage de la contention … quelques axes suggérés pour nos échanges.

1. La contention est une mesure de sécurité. En principe, de dernier recours, pour prévenir un dommage immédiat ou imminent : est-ce bien toujours le cas ?

La mise sous contention commence bien souvent aux urgences. Est-il possible de faire autrement ? A quelles conditions ?

2. Au cours de l’hospitalisation, pourquoi, comment, dans quelles circonstances met-on le patient sous contention ?

La HAS dans sa synthèse de recommandations isolement et contention, désigne l’agitation du patient comme motif suffisant de la décision de mise sous contention. S’agit-il alors d’un risque immédiat ou imminent ?

S’il n’y a pas risque immédiat ou imminent, pourquoi cette mesure ? Comment se prend la décision ?

Si tel est le cas, s’il y a risque de « dommage », peut-on faire autrement ? Et sinon, pourquoi ne fait-on pas autrement ?

3. La contention est une mesure de dernier recours, prise pour une durée limitée. Or ces mesures, suivant la dernière mouture de loi peuvent, à condition d’en informer le JLD, être renouvelées pour de longues périodes (48h par tranche de 6h renouvelables, 48h elles-mêmes renouvelables).

S’agit-il bien, dans ces conditions, d’un dernier recours pour risque immédiat ou imminent ?

Quel est alors le motif de la contention ? Un motif de nature disciplinaire ? Y a-t-il des « raisons cliniques » de la mise sous contention ? La mesure de contention peut-elle être prise, comme le recommande l’HAS, « dans le cadre d’une démarche thérapeutique » ?

La contention pose la question du soin en psychiatrie. Que faut-il donc contenir et comment quand il s’agit du psychisme ?

« La sangle qui attache tue le lien humain qui soigne ».

(titre de la pétition du Collectif des 39).

Atelier 4, appel à témoignages

A l’initiative de l’Appel des appels, du collectif des 39 et du Printemps de la psychiatrie, les « Assises Citoyennes du Soin Psychique » se tiendront à la Bourse du Travail de Paris les 11 et 12 mars 2022 et proposeront un atelier dévolu à l’enfance et l’adolescence en souffrance psychique.

De fait, il est indéniablement constaté une mise à mal de tous les lieux et dispositifs impliqués dans la prise en charge des enfants, à la fois dans le domaine du soin, mais aussi dans les champs scolaires, éducatifs, médicaux, du médico-social, de la justice, de la protection, etc. 

De plus en plus, les impératifs éthiques d’accueil, de présence et d’engagement se trouvent démentis au profit de mots d’ordre économiques de réduction des dépenses publiques et de slogans idéologiques, favorisant l’apparition de dispositifs « innovants », hors-sol et plateformisés, sous-tendus par une logique de tri et d’exclusion.

Délais interminables pour obtenir un première consultation…

Prises en charges clairsemées, dont l’efficacité est parfois difficile à saisir…

Sentiment d’être mis à l’écart ou jugé en tant que famille…

Adolescents hospitalisés en services adultes, souvent isolés, parfois attachés… 

«  Inclusion » scolaire de façade s’interrompant dès que l’enfant manifeste trop bruyamment ses particularités…

Enseignants en souffrance, en arrêt de travail, en burn out …

MDPH notifiant des solutions inexistantes…

Parcours du combattant pour trouver un lieu adapté…

Places très peu nombreuses… 

Lieux parfois infantilisants et contrôlants, tout en affichant de paradoxales injonctions à l’autonomie…

Enfants en attente de placement, de familles d’accueil, de soins, subissant des maltraitances dans les lieux censés les protéger, abandonnés dès leurs 18 ans ou 21 ans…

Pénurie de matériel, de personnel, lieux de proximité fermés, financement au rendement…

Nous, professionnels de différents horizons, usagers de la psychiatrie et du médico-social, familles, citoyens, sommes nombreux à souffrir de ce genre d’expérience au contact des services de soin, de la pédopsychiatrie, de l’école, de la protection de l’enfance. Les services publics dédiés à l’enfance sont, par endroits, devenus bien indésirables et difficiles à défendre. Nous n’avons pas le pouvoir de renverser rapidement les politiques successives de privatisation et de paupérisation qui ont mené à cela.

En revanche, nous pouvons tenter d’agir localement, ensemble, dans les lieux et services proches de nous, pour les rendre accueillants et désirables pour tous.  Cela, pour certains d’entre nous, nous l’avons expérimenté aussi, avec bonheur.

Concrètement, comment faire des lieux proches de nous des territoires de pratiques en lutte, contre le tri et la hiérarchisation des êtres humains, contre le validisme, pour un accueil et un soutien de chaque personne telle qu’elle est ?

Pour cet atelier, « Urgence de repenser l’enfance en souffrance », il parait donc essentiel d’en revenir aux enjeux concrets rencontrés sur le terrain des pratiques. Dans cette optique, le témoignage, le récit, le partage, constituent déjà des éléments de résistance face aux distorsions du réel et à l’imposition d’un discours managérial ubiquitaire. Commençons par raconter, faire vivre, rappeler, dénoncer, contester, s’indigner, se révolter ensemble, dans l’écoute des particularités et des éprouvés.

Il semble également primordial de faire émerger des aspirations, des élans et des espérances. Notre rencontre, citoyenne et plurielle, se donne pour objectif de bâtir des (contre)-propositions, de définir des actions communes, de relancer des luttes collectives, pas seulement en opposition, mais aussi à travers l’affirmation d’alternatives et de revendications concrètes, basées sur l’expérience des uns et des autres. 

En tant que professionnels, acteurs, citoyens, familles, usagers, enfants ou adolescents, impliqués par la question du mal-être infantile, nous nous permettons ainsi de vous solliciter afin de recueillir vos témoignages, doléances, inquiétudes, colères, revendications, propositions, rêves, affirmations, visions, etc. Car, au-delà du mépris contemporain de l’enfance, c’est à travers les mots et les narrations individuelles et collectives que nous puisons l’espoir de ressortir de cet atelier avec des perspectives de transformation.

Merci d’avance de vos réponses libres à ces quelques questions, qui s’adressent à toute personne qui a ou qui a eu, directement ou indirectement, affaire aux services dédiés à l’enfance et à l’adolescence : pédopsychiatrie, médico-social, inclusion scolaire, suivis éducatif ou rééducatifs, protection de l’enfance, justice des enfants.

Pour retrouver l’appel suivi des questionnaires :

Initialement publié sur le blog Mediapart du Docteur B.B.

voir aussi les publications sur le site : « Mobilisation pour une psychiatrie relationnelle et vivante »